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En préparant son entrée à Wall Street, Facebook a intérêt à soigner son modèle économique essentiellement publicitaire. Mais la collecte des données personnelles est une arme à double tranchant.

De 75 000 à… 100 000 millions de dollars: les chiffres de la valorisation estimée de Facebook donnent le tournis alors que la plate-forme aux 850 millions d'utilisateurs dans le monde s'est contentée, la semaine dernière, de retirer un dossier d'introduction en Bourse. Investissement magique ou nouvelle bulle? D'ores et déjà, avec 3,71 milliards de dollars de chiffres d'affaires en 2011 et un bénéfice net de 668 millions, Facebook déçoit le cabinet de marketing E-Marketer qui tablait, voici deux semaines, sur 4,27 milliards de recettes.

Mais on ne prête qu'aux riches, et c'est vrai que Facebook est riche en attraits multiples. S'il compte 25 millions de membres en France, le réseau est d'abord une plate-forme mondiale. Sa force réside moins dans ses perspectives d'expansion – il devrait plafonner à un milliard d'utilisateurs, selon Havas– que dans son écosystème et son caractère incontournable sur la planète (il vient de supplanter Orkut au Brésil).

Aux amis et aux fameux bouton «j'aime», le réseau ajoute de nouvelles fonctionnalités en même temps qu'il impose sa «timeline» à l'ensemble de ses aficionados. Objectif: faire de ses membres des prescripteurs de contenus signalant à leur communauté ce qu'ils souhaitent partager via des boutons ad hoc. De quoi affiner la connaissance des goûts et des comportements des utilisateurs.

Une plate-forme extrêmement ouverte

Sur le plan du modèle économique, c'est bien sûr la publicité qui l'emporte: Facebook en tire 85% de ses recettes, mais il s'agit d'une part en baisse (98% en 2009), les tarifs des espaces publicitaires ayant été relevés dans le même temps de 24%. Avantage de la plate-forme: elle est extrêmement ouverte, ce qui permet à des intermédiaires et des développeurs d'y réaliser leur propre business via des applications.

«N'importe quel développeur peut créer n'importe quelle action pour profiter des capacités de distribution et de monétisation de la plate-forme», explique Julien Codorniou, directeur des partenariats du réseau social à Lachaînetechno.tv. Le groupe vient aussi de nouer un accord avec Pages jaunes afin d'offrir aux TPE et PME de gérer leurs pages sur Facebook.

Dans une étude Deloitte, le réseau affirme qu'il emploie ou fait travailler 250 000 personnes en Europe et 24 000 en France. On y retrouve le fabricant de l'appli de jeux, le développeur de logiciel ou le vendeur d'espaces. Adconion, par exemple, qui fait partie des quatre-vingts entreprises au monde à avoir été habilitées par Facebook pour vendre son espace, achète à Facebook le click aux enchères «quelques centimes à quelques dizaines de centimes d'euros» et revend le fan «entre 30 centimes et 5 euros». Bien sûr, pour que ce système soit viable, il lui revient d'offrir l'accès au fan en un minimum de clicks.

«L'algorithme de ciblage fonctionne via les cookies, explique Stéphane Ambrosini, PDG d'Adconion. Une fois qu'un utilisateur se déclare fan d'une marque, on attend qu'il quitte Facebook, on regarde son surf et les lois du “profiling” font qu'il ressemble sur certains points à d'autres profils de consommateurs de marques. On cible ensuite des profils.» Dès lors qu'un utilisateur devient fan d'une marque, il peut être tracé sur les 146 sites qu'il fréquente en moyenne par mois (la moitié involontairement). Au ciblage sociodémographique induit par le profil de l'internaute s'ajoute donc un «profiling» établi sur son comportement.

Facebook France se contente de viser les cent vingt plus gros clients de la télévision. Pour les plus petits, il mise sur son attrait naturel et sa simplicité d'accès. Il suffit d'une carte bancaire pour acheter de l'inventaire Facebook auprès d'un intermédiaire. Un fan est réputé consommer 70 dollars de plus qu'un non-fan. D'où la course au premier, à laquelle ne manquent pas de se livrer des marques comme E.Leclerc et Auchan, qui ne craignent pas d'inciter l'internaute à les rejoindre en lui promettant, par tirage au sort, un an de consommation gratuite.

Aller plus loin dans l'expploitation de données

S'il se flatte aujourd'hui d'être «le meilleur élève» dans le contrôle des options de partage, Facebook concentre néanmoins beaucoup de critiques sur la gestion des données personnelles. Le groupe n'a pas répondu à la question de Stratégies de savoir s'il était favorable au projet de la Commission européenne d'obtenir l'accord préalable des utilisateurs avant d'exploiter commercialement les informations destinées à des «amis».

Pas vraiment étonnant, car une chose est de donner son accord avant d'actionner un bouton de partage, une autre est de dire qu'on accepte un cookie par un geste volontaire chaque fois que l'on clique pour devenir fan. Quid de ce modèle si la transparence s'impose en matière de ciblage publicitaire ou que les gens prennent l'habitude d'effacer leurs données de navigation? Ce ne sont pas, en tout cas, les crédits Facebook, encore en jachère, qui peuvent se substituer au marketing et à la publicité. «Ils sont partout, mais ils n'ont pas monétisé leur audience partout», a déclaré à l'AFP Virginie Lazès, analyste à la banque d'affaires Bryan Garnier.

L'entrée en Bourse de Facebook est-elle de nature à inciter à aller plus loin dans l'exploitation des données? «A près de 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires, Facebook peut connaître une pression sur sa profitabilité pour exploiter de façon plus agressive ses millions de données. Le réseau apparaît indéboulonnable, mais il n'est pas à l'abri d'une bêtise, car pour tout utilisateur sa page Facebook est une prolongation de soi», souligne Dominique Delport, PDG d'Havas Media.

En décembre 2007, Mark Zuckerberg avait ainsi dû présenter ses excuses sur les fonctionnalités de Beacon, un système qui alertait toute la communauté Facebook chaque fois qu'un internaute faisait des achats en ligne. Un partage non consenti peut se retourner comme un boomerang contre le premier des réseaux.

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