Spécial digital
Multiplication des médias, éclatement des audiences, fragmentation des usages… Le marché du digital est à peine en train de se construire qu’il doit déjà se repenser.

S'il n'est pas imperméable aux effets de la récession, le marché du digital se défend plutôt bien. Voire très bien. Cette résilience tient aux fondements d'un secteur en rupture par rapport au système dominant aujourd'hui fragilisé. Parce qu'elle promeut la flexibilité, la mobilité, la virtualité des échanges et des usages, l'économie numérique offre une moindre prise aux bourrasques conjoncturelles et structurelles de la crise.

En septembre 2011, selon Médiamétrie, la France comptait 39,4 millions d'internautes. En septembre 2011, l'Arcep dénombrait près de 22, 5 millions de foyers abonnés au haut ou très haut débit. La généralisation de l'équipement numérique ne doit pas occulter de réelles disparités sociales, comme le rappelle régulièrement l'Insee au fil de ses enquêtes. Pour autant, nul ne peut contester que l'Internet s'est installé dans le quotidien des Français, transformant leur manière de communiquer, de s'informer, de consommer.

Le marché publicitaire sur Internet constitue sans doute l'un des meilleurs indicateurs de santé du digital. Et d'évidence, les signaux envoyés sont positifs, si l'on s'en réfère au baromètre IAB-SRI (Interactive Advertising Bureau France et Syndicat des Régies Internet), réalisé par Kantar Media. En 2011, l'activité de publicitaire en ligne a progressé de 7,6%. Une croissance supérieure à celle de l'ensemble du marché publicitaire, en augmentation de 5,2%.

 

Fort d'un chiffre d'affaires de 3,48 milliards d'euros, le display représente 12,5% des investissements publicitaires globaux français. Preuve supplémentaire de sa maturité, il s'est calqué en 2011 sur les tendances générales du marché publicitaire: un début d'année très dynamique, suivi d'une certaine atonie en fin d'année.

«Internet a trouvé toute sa place dans les dispositifs médias des annonceurs», résume Jérôme de Labriffe,
 président de l'IAB France.
 Les deux tiers des annonceurs combinent aujourd'hui le display avec au moins un autre média publicitaire. Ainsi, 62% des annonceurs en télévision le sont également sur le Web.

Non seulement Internet vient renforcer la surface d'expression des annonceurs, mais il a, en quelques mois, diversifié ses propres espaces de prise de parole. L'explosion du mobile et des usages associés constitue sans aucun doute la donnée majeure du marché du digital.

«Au 4e trimestre 2011, l'Internet mobile comptait 19 millions de mobinautes. 91% ont consulté au moins un site – optimisé ou non pour le mobile – accessible depuis le réseau 3G des opérateurs, et 60,6%, au moins une application mobile», précise Estelle Duval, directeur de Médiamétrie NetRatings. Une croissance 5 fois plus élevée que celle du nombre d'internautes».

Les usages s'en trouvent nécessairement modifiés. Aujourd'hui, un tiers des mobinautes se connecte tous les jours à Internet. Il devient de moins en moins pertinent de considérer le mobile comme un média particulier. Les frontières entre les usages et les technologies s'effacent peu à peu. «La technologie sous-tend toutes les évolutions du marché publicitaire. Ainsi, le HTML5, langage commun au Web et aux apps, va faire exploser les investissements sur le mobile», lance Luc Tran Thang, président du SRI.

Acteurs et observateurs du marché du digital attendent avec impatience les premières études fiables sur l'équipement et l'utilisation des tablettes numériques. Celles-ci seraient déjà adoptées par 4,5% des Français. GFK prévoit 3 millions de ventes pour 2012, soit deux fois plus qu'en 2011.

Si les écrans se multiplient, le temps de consommation des médias n'est pas élastique à l'infini. «La vraie révolution, c'est la fragmentation de la consommation. Le développement du multitasking rend les mesures d'audience de plus en plus complexes. Les investissements publicitaires sont de plus en plus importants, mais la rentabilité de plus en plus délicate à mesurer, car de moins en moins uniforme», commente Luc Tran Thang.

Les courbes de croissance de certains segments du marché digital touchent directement les modèles économiques de leurs acteurs. «Sur le marché de la publicité sur mobile, les budgets moyens ne dépassent pas 25 000 - 30 000 euros. Sur des marchés aussi petits, mais voués à des progressions très fortes, l'important, c'est de prendre très vite des parts de marché, de développer des technologies propriétaires et certainement pas de chercher une rapide rentabilité», soutient Jérôme Stioui, PDG d'Ad 4 Screen. Les marques, les agences, les régies, doivent répondre à de nouvelles équations.

L'évolution des comportements en matière de consommation digitale pourrait rapidement bousculer les frontières traditionnelles des compétences et des métiers. Et, partant, modifier la configuration structurelle du marché.

«Nous nous retrouvons tous face à deux enjeux centraux: d'une part la capacité à identifier précisément l'endroit où la marque peut le plus légitimement prendre la parole pour toucher son client ou son prospect, d'autre part la capacité à construire les bons messages publicitaires», soutient Olivier Mazeron, directeur général de Group M Interaction (Group M, entité média de WPP).

Pour répondre à ces questions, les agences ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion fondamentale sur leur stratégie et leur organisation. «On va rapidement voir s'opérer des jeux d'alliances entre des acteurs qui auront tout intérêt à muscler leurs compétences», note Mats Carduner, président de Fifty-Five.

Les grands enjeux du digital sont intimement liés au développement de la consommation multi-écrans. Médiamétrie révèle que le public est de plus en plus nombreux à suivre les programmes TV en direct depuis des écrans alternatifs. Près d'un Français sur cinq a déjà regardé la télévision "live" sur un ordinateur fixe ou portable, un baladeur multimédia, un smartphone ou une tablette tactile. C'est 25% de plus qu'il y a un an.

Tout le talent des professionnels va consister dans leur capacité à faire converger les données issues des analyses des différents médias pour avoir une vision réelle du marché. «Demain, grâce à des cookies de plus en plus intelligents, nous pourrons mesurer précisément la contribution des différents canaux d'acquisition, leur affecter un ROI et projeter chaque objectif de conversion sur un mix média idéal», développe Mats Carduner.

Les agences digitales doivent depuis répondre à des briefs orientés CRM, soumis par des entreprises soucieuses de capitaliser leur stock clients et d'établir des ponts entre les différents médias pour avoir une lecture globale du comportement consommateur.

«Nous pouvons aujourd'hui mesurer la corrélation entre GRP télé et recherche sur Google. Ce qui ouvre des perspectives inédites en matière d'analyse comportementale. Les agences digitales vont devoir investir massivement sur le data, qui devient une vraie problématique digitale», explique Anne Browaeys, directrice générale de Fullsix France.

 

(sous-papier)

 

Les usages du Web mobile en Europe

 

5%: c'est la part du trafic Internet généré par les mobiles et les tablettes dans cinq pays européens (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni), selon une étude Com Score Mobilens publiée début 2012. Cette moyenne cache cependant des différences significatives dans les modes de consommation des terminaux mobiles d'un pays à l'autre. Si les Britanniques sont plus facilement utilisateurs du Web mobile (près de 8% du trafic Internet), les Français restent loin derrière (2,5%).

Quels usages transactionnels les européens ont-ils du smartphone? Avant toute chose, ils gèrent leurs comptes à distance (25% des mobinautes). L'achat en ligne arrive derrière : 14% des possesseurs de smartphones se sont rendus sur un site marchand ou une application de commerce en ligne, et 12% ont utilisé un service de paiement en ligne. Là encore, les Britanniques tirent la moyenne vers le haut, ainsi que les Allemands.

Le smartphone a également fonction d'assistant à l'achat en magasins. Plus d'un mobinaute européen sur cinq a déjà pris une photo d'un produit en point de vente au cours du mois d'octobre 2011, précise l'étude de Com Score. Ils sont  15% à avoir envoyé un SMS concernant un proche. Le mobile est plus rarement utilisé pour trouver un point de vente (6,6%) ou pour comparer les prix d'un produit (6,4%).

Au-delà des usages transactionnels ou de pré-achat, le mobile sert surtout aux mobinautes européens à entretenir le contact avec leurs connaissances via les réseaux sociaux. Au cours du mois d'octobre 2011, 75% des possesseurs de smartphone ont lu au moins un message envoyé par une connaissance sur un réseau social et près des deux tiers ont mis à jour leur statut au moins une fois. Les mobinautes sont en revanche moins franchement adeptes des communications initiées par les marques sur les réseaux sociaux. Moins d'un sur deux indique avoir lu le message d'une marque sur ce type de média.

Partout en Europe, les connexions Internet via smartphones et tablettes se concentrent plutôt sur le matin (environ jusqu'à 9 heures) et le soir (à partir de 18 heures). Entretemps, l'ordinateur prend le relais.

 

(sous-papier interview)

 

Jérôme de Labriffe,
 président de l'IAB France


 

«La tablette génère de nouveaux usages»

 

Comment analysez-vous le marché de la tablette numérique?

Il y a deux ans, la tablette n'existait même pas. Aujourd'hui, on développe des formats publicitaires spéciaux pour les applis. Il a fallu un peu plus de trois ans au Web pour entrer dans une courbe de maturité. Avec la tablette, le cycle s'est accéléré. Plus de 40% des Français disent vouloir s'équiper prochainement.

 

Entre l'ordinateur et le mobile, quelle est la place de la tablette?

C'est peut-être le chaînon qui va permettre de modifier la lecture que l'on a du monde digital. On a longtemps observé Internet par le prisme du trafic et du fonctionnement des sites. Aujourd'hui, nous devons adopter une lecture d'entrée comportementale, et la tablette nous y aide. C'est en observant les usages que l'on concevra les bons produits.

 

Un exemple ?

Prenez la presse. Un journal papier se lit de manière horizontale. La tablette, elle, oblige à une lecture plus verticale. Une rapide vision globale, une lecture en diagonale y sont quasiment impossibles. Ces constats vont nécessairement orienter les contenus. Les éditeurs devront par exemple opter pour des formats de lecture plus succincts. Plus que son format et ses fonctions, c'est l'usage que l'on fait de la tablette qui est intéressant. Contrairement à un ordinateur ou a fortiori à un téléphone mobile, une tablette se prête, passe de main en main. Cette utilisation beaucoup plus ouverte va forcément inspirer des offres inédites en termes de contenus et de fonctionnalité, notamment dans une perspective de diffusion de l'information.

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