Audiovisuel
Le PDG de l’Audiovisuel extérieur de la France fait, en exclusivité pour «Stratégies», le bilan de son action à la tête du groupe qui vient de fusionner RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya.

Pourquoi avoir nommé deux femmes à la tête des rédactions unifiées de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF)?

Alain de Pouzilhac. Ce n'est pas le choix homme/femme qui a primé. Ce sont les deux personnes que je juge les plus compétentes, qui ont prouvé leur efficacité et leur talent. Anne-Marie Capomaccio représente 88% de l'audience veille de Radio France internationale (RFI). C'est une personne qui a soudé autour d'elle une équipe, qui est la référence sur le marché de l'Afrique francophone. Elle a permis à RFI d'atteindre des parts de marché records de l'ordre de 50%. Nahida Nakad a lancé la chaîne arabe France 24, il y a quinze mois, avec peu de moyens. Elle a réussi à prendre 45% de l'audience totale de France 24, soit 20 millions de personnes. Elle a réalisé en un an ce que BBC Arabic a mis quatre ans à accomplir. Aujourd'hui, 29% des Tunisiens regardent la chaîne, 27% des Libyens, 17% des Maghrébins. Elle a aussi relancé Monte Carlo Doualiya.


La fusion vise-t-elle à dégager des économies?

A. de P. L'objectif est de faire 10% de synergies. Sur un budget de 230 millions d'euros, cela permet de dégager 20 millions, mais cette somme est complètement réinvestie dans la société.

 

Que répondez-vous aux salariés de RFI qui craignent d'être les laissés-pour-compte, voire les victimes de cette fusion?

A. de P. Il n'y a pas un seul fait qui étaie ce fantasme: ni les budgets, ni les nominations, ni la stratégie, ni les espoirs, ni les ambitions. Des gens à RFI sont enchantés par la fusion. Certes, j'ai reçu des motions de défiance de la part de l'intersyndicale de RFI: quarante personnes qui sont contre la fusion, tout comme elles étaient contre le passage au numérique et qui demain, seront contre les tablettes. Cela ne me perturbe pas. Dans la vie, il existe des gens qui font de l'obstruction, veulent garder un pouvoir de cogestion. Il faut savoir passer outre si c'est dans l'intérêt général. En aucune façon, les intérêts ou salariés de RFI n'ont été lésés.

 

Le Syndicat national des journalistes vous accuse de «discrimination syndicale» sur la grille des programmes...

A. de P. Je ne m'intéresse pas à la grille, ce n'est pas mon travail. Je me suis toujours interdit de m'occuper des contenus. Mon seul rôle est d'assurer l'indépendance des journalistes.

 

Mais l'intersyndicale a l'oreille de certains parlementaires socialistes qui peuvent mettre au passif de votre bilan cette relation difficile avec les salariés. Que répondez-vous?

A. de P. Un bilan, ce n'est pas du rêve mais une réalité. Et il est absolument formidable: les équipes ont doublé les audiences en trois ans, passant de 45 millions à 93 millions d'auditeurs et de téléspectateurs. Nos comptes sont à l'équilibre depuis 2009 pour chacune des sociétés. Nous avons gagné des parts de marché par rapport à BBC, Voice of America, Al Jazira ou Al Arabiya. Une promotion de journalistes français a pris le pouvoir, et montre la qualité d'un journalisme à la française. Nous sommes là pour développer l'influence de la France dans le monde, à travers ces regards, ces valeurs. Une petite agitation de syndicalistes ne peut venir troubler l'évolution de l'AEF dans sa réalité. Cette fusion est stratégique. Il faudrait être cinglé pour ne pas aller vers la convergence entre la télévision, la radio et le multimédia. Tous nos concurrents y sont allés. Je ne comprends même pas que l'on remette en cause la légitimité de ce rapprochement, quand on connaît le développement des évolutions technologiques. Je suis toujours surpris de cette exception française qui voudrait que l'on ne fasse pas comme les autres.


Est-il possible de revenir en arrière?

A. de P. Tout homme politique qui nierait la convergence des moyens de diffusion serait très particulier. Pour avoir vu des gens proches du parti socialiste, je ne pense pas que quelqu'un de sérieux puisse remettre en cause une réalité stratégique. Sinon, ce serait une ligne Maginot qui pénaliserait la France. J'ai foi dans les quatre grands candidats.

 

Et l'idée de rapprocher TV5 de France Télévisions?

A. de P. C'est très différent. Nous sommes minoritaires (49%) dans TV5, dont un quart à un tiers des programmes viennent de France Télévisions. La chaîne, qui a des partenaires francophones, est en dehors de l'AEF. Nous développons l'influence de la France dans le monde alors que TV5 défend la langue française, la francophonie et les cultures belge, canadienne, suisse, française ou québécoise.

 

Considérez-vous la concurrence d'Al-Jazira problématique dans le monde arabe, compte tenu des moyens que la chaîne d'information est capable de déployer?

A. de P. La réponse est non. Là où la question se pose, c'est en France. Avec beaucoup moins de moyens, France 24 prend des parts de marché en Tunisie, en Libye, au Liban, et elle est passée devant Al-Arabiya. Néanmoins, Al-Jazira est la chaîne leader dans le monde arabe. Elle a redonné une fierté aux citoyens arabes en montrant qu'il y avait une autre approche que le point de vue occidental. Russia Today, CCTV ont aussi beaucoup de moyens. Mais personne n'est dupe: le bien le plus précieux pour un média, c'est son indépendance, son honnêteté et son impartialité. Cette image est ce qui fait gagner France 24.


Où en est l'affaire d'espionnage qui vous oppose à votre ancienne directrice générale, Chistine Ockrent?

A. de P. L'instruction suit son cours. Le piratage est bien avéré. Deux personnes ont été mises en examen: l'informaticien Thibault de Robert, contre lequel cinq chefs d'inculpation ont été retenus, et Candice Marchal, la principale collaboratrice de Christine Ockrent, qui s'est vu signifier trois chefs d'inculpation.

 

Vous devez en vouloir au gouvernement de ne pas avoir tranché dans cette guerre des chefs avec Christine Ockrent... Vous en avez été fort marri, non?

A. de P. Pas du tout. Si cela avait été à moi de prendre la décision, cela aurait été fait dans les 24 heures. Mais je ne suis pas l'Etat, heureusement. Ce n'était pas aussi noble qu'une guerre des chefs. Cela a été instrumentalisé pour masquer une réalité toute simple. Je suis un manager qui a attendu une décision de son actionnaire pendant un an. La notion de temps n'est probablement pas la même dans le public et dans le privé. En ai-je souffert au plan personnel? Non. En ai-je souffert sur le plan de l'image? Oui. Ce que je regrette, c'est que cela ait rendu opaques les formidables succès de l'AEF.

 

Vous dîtes que toutes les sociétés de l'AEF sont à l'équilibre depuis 2009. Mais, selon un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) fin 2011, l'Etat a dû verser depuis cette date 103,9 millions d'euros de «subventions exceptionnelles».

A. de P. C'est une immense blague. Il n'y a jamais eu d'argent rajouté. On n'a fait que tenir les engagements prévus. Relisez les rapports Lévitte-Benamou et Altédia de 2006. Ils disent que pour permettre à l'Etat de faire la réforme, il fallait 20 millions d'euros pour mettre les sociétés à l'équilibre. Le coût du plan de départs volontaires à RFI fut estimé à 38 millions d'euros. Enfin, le coût du déménagement pour regrouper les entreprises dans un même lieu (21 millions d'euros) n'avait pas été calculé. Après, l'IGF dit que l'on réclame de l'argent, mais on a fait exactement ce qui était prévu.

 

Vous avez pourtant parlé de dérapage budgétaire quand Christine Ockrent a recruté 30 personnes à France 24, à l'été 2010.

A. de P. Christine Ockrent a procédé à ces embauches pour développer le français plutôt que l'arabe. En conséquence, France 24 a été dans l'impossibilité de lancer les quinze heures d'arabe en avril 2010. Avec Nahida Nakad, nous avons décidé de lancer une chaîne 24 heures sur 24 en octobre, avec les moyens dont on disposait. S'il y a eu dérapage, je l'ai comblé en fin d'année en diminuant les frais. Fin 2010, les budgets étaient à l'équilibre.

 

 

(encadré)

Une couverture journalistique commune

 

Le récent coup d'Etat au Mali a été l'occasion de voir fonctionner la «rédaction unifiée» de l'AEF. Sous l'autorité de chefs de service communs, elle assure une couverture plurimédia. Sur sept journalistes présents au Mali, deux viennent de RFI, trois de France 24 et deux du Web. La radio, qui a décroché l'interview du président Touré, en a fait profiter les autres médias du groupe. A l'inverse, c'est France 24 qui a obtenu les meilleures informations lors de l'affaire Merah. On les retrouve sur le site et les antennes radio.
Directrices de la rédaction, Anne-Marie Capomaccio et Nahida Nakad revendiquent, l'une comme l'autre, une indépendance absolue. «Je défie un homme politique français de dire qu'il a réussi à influer sur la copie», assure Anne-Marie Capomaccio. Sa consœur insiste sur la chance que représente une chaîne en arabe pour un pays «qui a beaucoup perdu en influence alors que les gens parlent de moins en moins le français». En formant des journalistes capables de faire de la télévision comme de la radio, l'AEF escompte bien se renforcer face à Al-Jazira, chaîne d'information leader dans les pays arabes. Nahida Nakad n'hésite pas à dire qu'elle «vise les points où ils sont en train de perdre en image et en audience». Non seulement dans les Etats où la chaîne qatarie se montre lacunaire et censurée, comme en Arabie saoudite ou au Bahreïn. Mais aussi face à tous ceux qui ne se retrouvent ni dans «ses images violentes» ni dans son «côté religieux et son projet politique».

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