Aurélie Filippetti, 38 ans, a été nommée mercredi 16 mai ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. La cérémonie de passation des pouvoirs avec l'ancien ministre Frédéric Mitterrand a eu lieu rue de Valois le lendemain matin.

 

Normalienne, petite-fille d'un mineur italien et fille d'un élu communiste, Aurélie Filippetti est député PS de Moselle après avoir commencé sa vie politique chez les Verts. C'est à la suite d'un refus du parti écologiste de l'investir dans la circonscription qu'elle convoitait à Longwy qu'elle a rejoint le parti socialiste en 2006.

 

A la mi-avril, s'exprimant au nom de François Hollande, la députée qui était alors chef du pôle culture, audiovisuel et médias de l'équipe de campagne du candidat socialiste, avait accordé une interview à Stratégies. Nous la republions ci-après en grande partie.

 

Comment garantir un service public audiovisuel indépendant de la tutelle politique? Faut-il revoir le mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public et des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel?

 

Il faut renforcer l'indépendance du CSA en en faisant une autorité de régulation de l'audiovisuel rénovée, aux pouvoirs de sanction étendus, et composée de personnalités incontestables, compétentes, nommées par les commissions parlementaires des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat à une majorité qualifiée. Cette instance procèdera aux nominations à la tête de l'audiovisuel public. Ces nominations seront ensuite approuvées par un vote des commissions parlementaires compétentes.

 

Faut-il rétablir la publicité sur France Télévisions après 20h30?

 

La suppression de la publicité après 20 heures a eu des effets néfastes sur le budget de France Télévisions sans produire d'effet bénéfique sur les horaires de diffusion des émissions tardives ni sur l'audace éditoriale. D'ailleurs, cette réforme n'a même pas été menée à son terme par le gouvernement. En l'état des finances publiques, c'était un coup très dur porté à l'indépendance de France Télévisions qui a perdu toute visibilité sur ses financements à moyen terme.

 

Nous souhaitons donc que l'on bloque cette réforme en maintenant la publicité avant 20 heures et que l'on sécurise les ressources de l'entreprise unique. Si nous n'envisageons pas d'augmenter la contribution publique à l'audiovisuel (ex-redevance), nous estimons qu'elle devrait suivre l'inflation. Nous réfléchissons également à un élargissement de son assiette. Les Allemands viennent de l'élargir à tous les écrans. On peut aussi penser aux résidences secondaires.

 

Faut-il encadrer et/ou taxer les cessions de fréquences TV ?

 

Dans la perspective d'acquisitions ou de lancements de chaînes et, notamment, dans celle des nouveaux appels à candidatures qui interviendront à l'expiration des licences actuelles, il serait opportun de compléter les critères que le CSA est en charge d'apprécier en vue de prendre ses décisions. Il ne serait notamment pas possible de céder sans contrepartie des fréquences attribuées à titre gracieux par l'État.

 

Comment assurer la contribution des géants d'Internet à la création audiovisuelle française? Faut-il une taxe pour corriger un phénomène d'évasion fiscale de leurs revenus?

Les géants d'Internet peuvent contribuer à la création française par divers moyens. Ainsi nous envisageons de mettre en œuvre un dispositif qui permettrait de taxer toute plate-forme virtuelle vendant des livres et qui n'aurait pas de fonds de commerce, afin d'aider les librairies qui, elles, doivent supporter des coûts fixes très importants. Nous veillerons aussi à ce que tous les acteurs entrants contribuent à la création et aient des obligations au moins égales à celles des acteurs existants, afin d'éviter toute déstabilisation majeure du système. Diverses procédures fiscales existent, notamment celle de l'imposition des activités ayant lieu sur notre territoire. Une réforme importante devrait être mise en œuvre au niveau européen afin de faire cesser un dumping fiscal qui ne profite à personne.

 

Faut-il revoir les dispositifs anticoncentration, interdire aux sociétés dépendant des commandes publiques de détenir et/ou d'acquérir des médias d'information?

 

L'influence de la télévision et de la radio sur l'opinion publique est si prégnante, la liberté de communication si indissociable du pluralisme et les enjeux financiers si importants, que toute société démocratique a besoin de règles limitant la concentration dans le secteur de l'audiovisuel et de la presse. La France ne doit plus faire exception. Au cours des cinq dernières années, la régression a été terrible en ce domaine. Les amis du pouvoir ont été servis, les pressions constantes, les tentatives d'instrumentalisation incessantes.

François Hollande s'est clairement exprimé sur le sujet: il souhaite rétablir une République où l'indépendance de l'information sera totale et où cesseront les conflits d'intérêt.

 

Si nous ne sommes pas hostile à la constitution de grands groupes de presse et d'audiovisuel nationaux solides dont la surface financière peut précisément être une garantie d'indépendance éditoriale, des critères d'audience cumulée devraient cependant être appliqués afin de préserver aussi la diversité des acteurs. Le véritable danger pour le pluralisme et l'indépendance des médias, ce n'est pas tant la concentration autour de grands groupes que l'immixtion de conglomérats industriels, qui s'y insèrent avec des stratégies d'influence très claires.

 

S'il y a un domaine dans lequel il faut être particulièrement exigeant, c'est en ce qui concerne les entreprises bénéficiant de la commande publique. Pour elles, les seuils de participation aux groupes audiovisuels ou de presse devraient être strictement limités et surveillés. C'est une question d'indépendance et de prévention des conflits d'intérêt.

 

Comment assurer la distribution de la presse? Faut-il mettre des limites à la libre concurrence entre les deux entreprises de messageries, Presstalis et MLP? Faut-il une nouvelle loi après la loi Bichet de 1947? Faut-il réformer les aides à la presse?

 

Plusieurs chantiers prioritaires avaient été identifiés par les Etats généraux de la presse, comme le développement du portage ou encore la conquête de nouveaux lectorats. Le bilan des plans d'action mis en œuvre par la suite est malheureusement plus que mitigé. La situation des diffuseurs, dont l'amélioration était l'un des objectifs des États généraux, n'a jamais été aussi mauvaise. Quant au réseau des points de vente, dont on annonçait le développement, il est en régression, tant du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif.

 

Quant à la situation de Presstalis, aucun des spécialistes du secteur ne peut jurer de la pérennité du système de distribution de la presse en France dans son ensemble. C'est un problème majeur, mais qui devra être traité dans le cadre d'une réflexion sur l'ensemble de la filière.

 

On peut certes mettre cette situation alarmante sur le compte de la crise économique et du développement d'Internet, mais la situation serait meilleure si les aides publiques que notre pays consacre chaque année à la presse avait été mieux employées. Une remise à plat des aides à la presse est incontournable. Il ne s'agit pas de remettre en cause ces aides, mais de mieux les cibler vers le lecteur citoyen.

 

Comment favoriser l'éclosion de nouveaux journaux d'information en ligne?

 

Le développement de la presse sur les supports numériques avait très justement été identifié par les États généraux de la presse écrite comme un chantier prioritaire. Hélas, ce gouvernement n'a pas pris la pleine mesure de cet enjeu. Le constat est sévère au regard des déclarations sur la priorité que constituerait le numérique pour l'avenir du secteur: l'aide au développement de la presse en ligne n'atteint pas 20 millions d'euros sur plus d'un milliard d'aides publiques. De plus, l'attribution de ces aides se fait dans la plus parfaite opacité, sans aucune réflexion préalable, ni sur son montant, ni sur son ciblage.

 

Le bilan est sans appel, il en résulte un guichet supplémentaire et un saupoudrage inéluctable des crédits. Les nouveaux médias et les nouveaux modes de consommation sont maintenant ancrés dans les comportements. Nous ne devons pas les subir mais les accompagner, voire les précéder par une politique ambitieuse et visionnaire, favorisant la presse d'information politique et générale. Ce nouvel univers médiatique, en particulier avec les «pure players», est un terroir de créativité et un vivier de nouveaux métiers. La nouvelle orientation des aides à la presse doit aider ce secteur à se développer et à devenir le fer de lance d'un univers en devenir.

 

Faut-il revoir la loi Hadopi?

 

Inopérante, socialement injuste, la loi Hadopi a montré ses limites et n'a pas rapporté un euro à la création. Dès lors, la question est: quel peut être le dispositif le plus adéquat qui protège la création sans montrer du doigt les internautes? Il faut protéger la création. C'est parce que la création demande un espace à elle, à l'écart de la seule logique marchande, que la France a pu créer l'exception culturelle et la sortir des accords commerciaux. C'est avec ce principe qu'il nous faut renouer, à l'heure où Internet a estompé les frontières.

La droite a fait perdre un temps précieux à notre pays à travers l'impasse répressive d'Hadopi. Alors que l'offre de culture en ligne s'installe au Nord de l'Europe, la France en reste aux balbutiements. Un acteur innovant comme le français Deezer, et la justice américaine à travers la fermeture du site Mega Upload, auront fait davantage pour l'offre légale que la loi Hadopi!

 

François Hollande s'y est engagé, une large concertation sera lancée afin de mettre en place un véritable acte II de l'exception culturelle, dont il a annoncé les grandes orientations: développement de l'offre légale en ligne, lutte contre la contrefaçon commerciale, élargissement des sources de financement aux acteurs internationaux qui profitent de la circulation des œuvres, protection du droit d'auteur dans ses deux dimensions, morale et patrimoniale.

 

Quelles dispositions mettre en œuvre pour garantir les données personnelles sur le Net?La protection des données personnelles constitue un véritable enjeu juridique et sociétal, mais également économique?

 

Nous avons déposé une proposition de résolution le 19 janvier dernier à l'Assemblée nationale, qui appelle à l'adoption par les États membres de l'Union européenne et les États tiers d'une convention internationale pour la protection des personnes à l'égard du traitement des données personnelles, comme le soutient la Résolution de Madrid, adoptée par la 31e Conférence des commissaires à la protection des données et à la vie privée.

La gratuité des services offerts dans l'environnement en ligne a, de plus en plus souvent, pour contrepartie la collecte, l'usage et le transfert de ces données. L'autorégulation ne peut suffire en la matière. L'objectif général ne peut être de contrer les changements fondamentaux en cours en matière de service, de communication, d'échange et d'accès à l'information, mais de les accompagner et de les sécuriser. La France, à travers notamment le travail de la Cnil, a imposé un contrôle strict de la captation, du transfert, de l'utilisation et de la conservation des données à caractère personnel. L'adoption, il y a 17 ans, de la directive européenne 95/46/CE fut l'acte fondateur de la protection de la vie privée à l'échelle communautaire. Sa modernisation semble désormais à la fois urgente et indispensable.

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