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A onze ans, Tavi Gevinson lançait son blog et devenait la chouchoute des rédactrices de mode. Cinq ans après, son magazine en ligne Rookie passionne les adolescentes. Le futur de la presse jeunes ?

Ah! Le bon vieux temps des exposés! Inoubliables souvenirs de paumes moites, de voix hésitante et d'incommensurable gêne... Les mains en boule dans les manches de son pull, Tavi Gevinson, 16 ans, n'en mène pas large. D'autant que ce n'était pas face à une classe de lycée que l'adolescente dispensait, en mars dernier, une conférence sur le féminisme, mais dans le cadre des prestigieuses conférences TED (Technology, Design, Entertainement). Slides fluorescentes à l'appui, la teenager américaine, rédactrice en chef de Rookie, magazine pour ados, parviendra sans faillir au terme de sa présentation.

 

C'est bien le moins que l'on pouvait attendre de cette jeune personne, qui dès 12 ans, embrassait comme du bon pain Anna Wintour, la terrible directrice de la rédaction de Vogue. A 11 ans, la chère tête blonde se teint les cheveux en gris, lance un blog sur la mode, Style Rookie, et adopte un style plus adapté aux couloirs des hospices qu'à la cour du collège: chapeaux hyperboliques, lunettes sécurité sociale, robes gériatriques... On lui réserve très vite une place au premier rang des défilés de mode. Pendant un show Dior, une rédactrice du Grazia britannique se plaindra d'ailleurs d'avoir la vue obstruée par le gigantesque nœud piqué sur le crâne de la gamine.

 

«A ses débuts, Tavi avait un côté très "phénomène de foire"», se souvient Antoine Burger, du secteur recherche et prospective de Peclers. Mais, comme le rappelle Géraldine Dormoy, responsable éditoriale du site de L'Express Style, «elle montrait aussi une remarquable précocité dans son analyse de la mode». A tel point que l'on doutera longtemps de l'authenticité des écrits de la blogueuse.

 

Cinq ans plus tard, la suspicion s'est dissipée. Tavi Gevinson a troqué ses boucles argentées contre une abondante chevelure platine et arbore un style, qui, s'il n'est pas des plus classiques, met en valeur sa balbutiante féminité: la marque Uniqlo, tout comme Urban Outfitters en ont fait leur égérie.

 

En 2010, le tendron est approché par la papesse de la presse ado, Jane Pratt. La quarantaine bien tassée, l'éditrice a fondé, à 24 ans, le regretté magazine Sassy, connu pour son ton acerbe et ses plus produits: citons notamment un CD de Sonic Youth, cadeau aux lectrices bien éloigné des traditionnels gloss à paillettes. En septembre 2011, elle chaperonne Gavinson pour le lancement du site Rookie, «débutant» en argot sportif.

 

Six jours après son lancement, Rookie passe la barre du million de visiteurs uniques. Avec des contributeurs de choix comme le réalisateur Judd Apatow ou le sublime Jon Hamm (le Don Draper de Mad Men) qui prodiguent leurs conseils aux jeunes filles en fleur dans la chronique «Ask a Grown Man» (Demandez à un adulte).

 

Presque un an après, près de 2 millions d'internautes se pressent sur le site. «Il répond parfaitement aux attentes de cette cible: des conseils de copines, ainsi que des looks "mix and match" mêlant pièces H&M et fripes, estime Laure Nicolai, styliste chez Carlin. Rookie permet, de plus, d'avoir accès au quotidien de Tavi, un vrai rêve de gosse.»

 

Le mythe de l'enfant prodige a décidément la vie dure. Et correspond sans doute, plus que jamais, à un idéal. Roland Barthes qui, dans Mythologies, se penchait sur le cas de Minou Drouet, poétesse de neuf ans portée aux nues dans les années 1950, l'écrivait déjà: si la précocité enfantine garde intacte toute sa faculté de fascination, c'est qu'elle constitue «un objet admirable dans la mesure où il accomplit la fonction idéale de toute activité capitaliste; gagner du temps, réduire la durée humaine à un problème numératif d'instants précieux». L'ascension de Tavi Gevinson passera-t-elle la puberté?

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