Audiovisuel
Le rachat de Direct 8 et de Direct Star provoque les foudres de TF1, M6 et France Télévisions, qui se sont liguées pour faire barrage à Canal + auprès du CSA.

On pensait que M6 était l'inconciliable rivale de TF1 et que ces deux chaînes ne se retrouvaient que sur un point: leur détestation commune des avantages «indus» dont bénéficie France Télévisions. Vérité en deçà de la télé payante, erreur au-delà. Car c'est aujourd'hui Canal+ qui mobilise les attaques les plus virulentes des trois grands groupes de la télévision gratuite, autrefois alliés dans le bouquet payant TPS.

 

En cause: les négociations engagées entre le géant de la télé cryptée et le Conseil supérieur de l'audiovisuel en vue du conventionnement de la future D8 (ex-Direct 8). Elles devaient aboutir, mardi 18 septembre, lors du bouclage de ce numéro.

 

Michel Boyon, le président du CSA, rappelle volontiers que son institution est garante de l'équilibre du paysage audiovisuel et qu'elle a l'obligation d'assurer la pluralité des opérateurs. Elle est donc autorisée à demander à Canal+ de ne diffuser qu'une série américaine par semaine sur sa future chaîne, à exiger des délais moins longs pour empêcher tout verrouillage des droits audiovisuels, à obtenir des engagements dans la production, ou à assurer la présence sur l'antenne de D8 de films à petit ou moyen budget.

 

De leur côté, les trois grands de la télé hertzienne ont déterré la hache de guerre. Le 11 septembre, au cours d'une rencontre avec la presse, Nonce Paolini a donné le ton. L'arrivée de Canal+ dans la télévision gratuite grand public est, pour lui, une «véritable révolution»: «On autoriserait un acteur en position dominante sur le payant, qui n'est pas affecté dans ses abonnements et bénéficie d'une niche fiscale de 400 millions d'euros [TVA à taux réduit], à mettre une pression considérable sur les producteurs et les studios. On serait le seul pays d'Europe dans ce cas. [En Grande-Bretagne], l'Ofcom a sorti Murdoch quand il a voulu venir sur ITV.»

 

Pour le patron de TF1, pas question d'accepter que le groupe Canal+ puisse mêler ses négociations sur les droits cryptés avec des petits arrangements entre amis sur le clair. Le 13 septembre, c'était cette fois au tour du secrétaire général de TF1, Jean-Michel Counillon, accompagné de ses homologues de M6 et de France Télévisions, d'enfoncer le clou: «On ne veut pas qu'un puissant acteur vienne percuter le marché de la télé gratuites par des effets de levier.»


En juillet, l'Autorité de la concurrence avait pourtant veillé à demander des négociations séparées à Canal+. Pour ses contrats cadre, le groupe n'a ainsi accès aux droits payants et gratuits que d'une seule des six majors américaines. Du côté de la chaîne cryptée, on a donc tôt fait de dire que cinq grands studios sont disponibles pour ses futurs concurrents de la télé gratuite. En outre, alors qu'il achète pour le crypté 47 des 50 films produits à plus de 5 millions d'euros, Canal+ n'aura pas le droit de diffuser plus de 20 films inédits sur D8 et Direct Star, dont deux avec un budget de 15 millions d'euros susceptible d'intéresser TF1 (et trois entre 7 et 10 millions d'euros).

 

Le groupe présidé par Bertrand Meheut indique aussi que les groupes audiovisuels en clair disposent d'un droit de préemption sur les films qu'ils coproduisent, ce qui empêcherait Canal+ de mettre la main dessus pour une diffusion gratuite. Enfin, il maintient que sa cible publicitaire sera constituée de CSP+, qu'il ne vise que 4% d'audience et que sa régie a actuellement 85% d'annonceurs exclusifs. «On essaie de nous mettre des boulets aux pieds avec une vision partiale», indiquait-on le 14 septembre à Canal+.

 

Les trois chaînes gratuites ne croient pas à ce scénario de «bisounours» alors même que Canal+ a annoncé qu'il allait tripler le budget de programmes de D8, à plus de 120 millions d'euros la quatrième année. D8 sera, selon eux, à la recherche d'une audience de masse comme le prouverait l'arrivée de Laurence Ferrari, Cyril Hanouna, Nouvelle Star ou du jeu d'aventures Amazing Race. «Nous voulons que notre capacité à avoir des recettes publicitaires ne soit pas handicapée par des effets d'assèchement du marché», souligne Karine Blouet, secrétaire générale de M6.

 

Pour elle, il importe donc de «garantir une étanchéité» sur le marché des droits audiovisuels entre le payant et le gratuit avec des structures de négociation géographiquement séparées, l'interdiction de tout contact et des offres distinctes, sur le modèle de l'organisation qui a été imposée aux régies publicitaires de TF1 et de TMC/NT1 par l'Autorité de la concurrence, en 2010. Même avec la limitation à vingt du nombre de films à gros budget achetables par Canal+ pour Direct 8, M6 craint d'être coupée des douze films qu'elle finance, de même que TF1 se voit menacée sur les vingt qu'elle coproduit.

 

Jusqu'à présent, ces deux chaînes pouvaient en effet compter sur le cofinancement entre chaîne payante et gratuite pour bénéficier de la fenêtre d'exploitation en clair. Mais que se passe-t-il si Direct 8 se met à devenir l'interlocuteur du cinéma pour la diffusion gratuite?


La semaine dernière, Martin Ajdari, directeur général délégué aux finances de France Télévisions, attendait donc du CSA qu'il complète les engagements pris auprès de l'Autorité de la concurrence en vue d'une «concurrence équitable et loyale». Le groupe public craint tout particulièrement de perdre les droits des événements sportifs «d'importance majeure» comme la finale de handball aux JO dont France Télévisions hérite de la diffusion en cas de qualification de l'équipe de France.

 

Par le même scénario, le groupe à péage pourrait pousser sa filiale D8 pour s'assurer la diffusion des événements soumis, de par la loi, à une diffusion en clair. «Nous risquons d'être privés des films et des rencontres sportives les plus attractifs», résumait Martin Ajdari. Canal+ se dit intéressé, il est vrai, par les événements sportifs les plus importants...

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