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Le Vanity Fair français sera lancé en juin 2013, selon Le Figaro. Comment adapter le mythique mensuel? Ce produit hybride trouvera-t-il son public en France, et séduira-t-il les annonceurs?

Quels conseils Graydon Carter leur a-t-il prodigués? Dans ses locaux du 4 Times Square, à New York, le directeur de la rédaction de Vanity Fair (VF) recevait, la semaine du 17 septembre, le PDG de Condé Nast France Xavier Romatet, ainsi qu'Anne Boulay, future rédactrice en chef de la déclinaison française du titre. «Nous avons assisté aux réunions de rédaction et rencontré Graydon Carter deux fois», raconte Xavier Romatet, qui refera le voyage en novembre. C'était le serpent de mer de la presse française: l'annonce du lancement d'une version hexagonale de la mythique «Foire aux vanités» américaine, qui fêtera ses cent ans cette année, a provoqué une excitation non feinte dans le microcosme média.

Impossible à égaler, trop cher à produire, trop sophistiqué à adapter... La création du VF français, qui devrait voir le jour avant l'été, semble à première vue relever de la gageure. «Le contenu sera à 80% français, avec les recettes du VF américain: un mariage d'enquêtes fouillées sur la politique, l'économie, le show-biz, d'articles glamour sur les célébrités, de séries des plus grands photographes», annonce le patron de Condé Nast France. Ont déjà été recrutés Hervé Gattegno, rédacteur en chef du Point, et Olivier Bouchara, chef du service affaires de Capital pour l'investigation. L'arrivée de l'éditrice Francesca Colin, actuellement directrice commerciale du pôle haut de gamme de Grazia, et de Virginie Mouzat, à la tête de la section mode du Figaro, semblent augurer d'orientations plus «fashion» dans le VF français (dont le budget se situe entre 15 et 20 millions d'euros, et dont le prix de vente sera compris entre 4 et 5 euros). «La mode fait partie de la culture française, nous lui accorderons donc une place plus importante que dans le VF américain», reconnaît Xavier Romatet.

 

De multiples concurrents

Quant à l'homme lige du mensuel, Michel Denisot, il remplira «le même rôle que Graydon Carter», résume le patron de Condé Nast France. BHL aurait, dit-on, fait le siège de Condé Nast pour endosser le rôle de Denisot. En vain. «VF était sa source d'inspiration pour le Grand Journal», explique Xavier Romatet. «Il est excité comme un gamin par le projet, sans rien à prouver: la garantie qu'il s'investit dans le projet pour de bonnes raisons».

L'homme de télévision incarnera le titre auprès du grand public, pas forcément au fait du luxueux mensuel, vendu chaque mois à 1,25 million d'exemplaires outre-Atlantique. Il représente également une caution pour les acheteurs médias. «VF est une marque difficile, qui prend le contre-pied de tout ce qui se fait actuellement», concède Xavier Romatet. Pour ce titre hybride, l'univers de concurrence est protéiforme: Paris-Match? Mediapart? M, le magazine du Monde? Sans doute un peu de tout ça. «Avec GQ, nous avons capté des lecteurs de la presse masculine, économique... De la même façon, VF n'aura pas un concurrents, mais des concurrents.»

 


L'avis de trois experts

 

Un journaliste

Frédéric Filloux, directeur général des activités numériques du groupe Les Echos : «A voir»

 

«VF est un objet étrange, qui repose sur une jambe people, alimentée par de l'"access journalism" - des interviews arrangées avec les célébrités - et une jambe d'investigation, très libre, très chère à produire, très exigeante. Je serais très étonné que l'on retrouve la même profondeur éditoriale dans le VF français. En revanche, je suis certain qu'en termes d'iconographie, Condé Nast saura s'aligner sur le modèle français. Pour le reste, le recrutement de Virginie Mouzat me laisse à penser que les études de marché ont dû montrer qu'il vaut mieux accentuer le côté mode plutôt que de mettre en avant l'investigation.»


Une acheteuse médias

Sophie Renaud, directrice du département expertise presse de Carat : «Oui»

 

«Ce lancement fait rêver... Tout d'abord, le choix de Michel Denisot paraît plutôt futé: il incarne beaucoup de modernité, d'élégance, avec un côté haut de gamme. De plus, il bénéficie d'un carnet d'adresses impressionnant. Aujourd'hui, ce qui fonctionne, ce sont ces magazines à l'anglo-saxonne, avec une approche très touche-à-tout et transversale. Déjà, Grazia s'était lancé avec cette identité glamour et intelligente. VF sera plus mixte et plus news, avec des papiers longs et très écrits, qui correspondent à une attente des lecteurs. Le prix de vente, de 4 à 5 euros, me paraît juste pour le produit.»

 

Un spécialiste de la presse internationale

Eric Chol, directeur de la rédaction de Courrier International : «Sans aucun doute»

 

«Bien sûr qu'il y a de la place pour un journal de grande qualité comme VF! Le succès des "mooks" comme XXI, avec des articles au long et de riches illustrations, montre qu'il existe un lectorat pour ces titres exigeants. Là où je suis plus circonspect, c'est sur la capacité à offrir, dans la presse française, le même luxe de travail que le VF américain: les journalistes peuvent être envoyés pendant six mois en reportage, avec des moyens extrêmement importants. Les 80% de contenu purement français seront-ils au niveau du VF américain? C'est plutôt cette question que je me pose.»

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