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Les Assises du journalisme, qui se sont tenues à Poitiers début octobre, ont été le témoin d'un vif échange entre un général de l'armée française et Hervé Ghesquière.

Le général Lecointre ne pensait sans doute pas que ses deux étoiles éblouiraient les journalistes présents, ni qu'il pouvait compter sur un corporatisme élargi de la profession, eu égard à la carte de presse d'une de ses filles. En tout cas, il ne s'attendait sûrement pas à être pris à partie avec une telle virulence par Hervé Ghesquière, le journaliste de France 3, ancien otage des Talibans.

 

Ce 2 octobre, à l'occasion des Assises du journalisme, le général commandant la place d'armes de Poitiers vient expliquer dans le grand auditorium de sa ville ce que son expérience d'ancien combattant en Afrique lui a appris: «Toutes les valeurs républicaines de notre armée, on les doit aussi au fait qu'on agit en public, devant l'opinion.» Pour le haut gradé, le journaliste est un allié car il rappelle aux hommes d'un corps expéditionnaire qu'ils se battent sous les yeux de la nation, même si, reconnaît-il, il peut compliquer la tâche du soldat tant il est vrai que la presse amène le politique à «réagir à l'émotion».

 

Jérôme Bouvier, président des Assises, se souvient de son intervention un an plus tôt parmi le public: «Il avait frappé tout le monde en disant qu'entre l'acte de guerre et la barbarie, la frontière est ténue, et que l'une des vertus du journaliste est d'éviter au soldat de sombrer dans cette barbarie», se souvient-il, précisant que c'est ce qui lui a donné l'idée de l'inviter à débattre.

 

Un échange à vif


Une défense et illustration des intérêts convergents entre journalisme et la Grande Muette? Il n'en fallait pas plus pour faire sortir Hervé Ghesquière de ses gonds, quitte à lui faire oublier son rôle d'animateur d'un débat sur le «Printemps arabe des journalistes». Se tournant vers le général, il est alors revenu à la charge sur l'affaire qui l'habite tout entier depuis la sortie de son livre 547 jours (éd. Albin Michel): «Le colonel Thierry Burkhard, porte-parole du ministère de la Défense, a laissé entendre que, pendant 547 jours, 27 Français avaient été tués pendant qu'on nous cherchait, a-t-il lâché, mais aucun soldat français n'a été tué à cause de Ghesquière et Taponier, ou qu'on me démontre le contraire.»

 

L'échange, vif, ou plutôt à vif, n'a pas ébranlé la belle tenue du général. Mais le reporter a dit clairement ce qu'il en était des relations du journaliste avec l'armée française: «On peut avoir les meilleurs rapports avec les gens que nous filmons, s'il n'y a pas d'empathie, cela ne sert à rien. Or là, en reportage, vous avez un officier français à côté de vous qui vous empêche d'avoir des relations sereines avec les militaires. Aux Etats-Unis, les officiers de presse font le show mais ils vous rendent aussi la vie facile pendant deux ou trois jours.»


Hervé Ghéquière est poursuivi en diffamation pour avoir traité de «lâche» le lieutenant-colonel Fouquereau, l'ex-responsable du service de presse de l'Armée à Kaboul, qui a refusé de le rencontrer pour son livre. Il le soupçonne d'être à l'origine des accusations d'imprudence portées au plus haut sommet de l'Etat contre les deux journalistes de France 3.

 

Mais l'affaire, qui sera jugée le 8 janvier, comporte aussi sa part d'éléments plus structurels. Pour qu'il aille avec Taponier en Afghanistan, raconte Hervé Ghesquière, son directeur Paul Nahon et son rédacteur en chef Lionel de Coninck ont dû promettre un "tribute to the troops, un beau reportage en l'honneur des troupes". "Si on ne fait pas ça, ajoute-t-il, se ferme la double porte du ministère de la Défense et de l'état major". Mais le chien de garde peut-il être au service de la démocratie sans chercher à sortir de sa niche? "C'est un espoir illusoire de penser qu'on arrive à contrôler l'information", reconnaît le général. 

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