Année des médias 2012
Dans la presse féminine, le courrier sentimental connaît un renouveau: les réponses, prodiguées par des hommes, y sont sans fioritures, pour des lectrices qui ne veulent plus perdre leur temps.

Jour après jour, avec fièvre, la boîte aux lettres a été surveillée. Las! Il n'a jamais répondu. Trop occupé à ausculter les atermoiements des lectrices de Grazia, sans doute. Docteur Love, réceptacle des égarements sentimentaux, garde, pour l'heure, tout son mystère. Insaisissable, il n'aura pas daigné donner suite aux questions de Stratégies, pourtant tout à fait convenables.

Dans les pages du magazine, l'homme pose alangui sur un canapé en velours cramoisi. Il s'appellerait Adrian Ingerson, serait né en 1975 à Östersund en Suède, et serait diplômé de l'université de Stockholm. Depuis quelques mois, il provoque de nombreux béguins grâce à son courrier du cœur, dont le ton pourrait être résumé ainsi: «Qui aime bien, châtie bien».

A Julie, qui s'interroge sur les compliments que lui adresse un internaute, il balance: «Chère Julie, votre copain blogueur a effectivement l'air d'être un beau parleur. Il présente tous les signes de l'homme qui a envie de vous rencontrer dans le but d'avoir un rapport sexuel avec vous.» Il ne l'envoie pas dire, non plus, à Cosette qui, à 27 ans, reste désespérément seule, tout en se présentant comme «une jeune femme jolie et intelligente»: «Votre lettre est déprimante. Je ne peux pas vous conseiller les sites de rencontres, j'ai peur que vous tombiez amoureuse d'un psychopathe». Du viril, du brutal.

 

Le principe de réalité 

Qu'en auraient pensé Marcelle Ségal ou Ménie Grégoire, beaucoup plus émollientes avec leurs correspondantes? Les pionnières des rubriques sentimentales, l'une, dans le magazine Elle, l'autre, sur RTL, jouaient plutôt le rôle d'amies, de confidentes, voire de dernier recours. «Par pitié, aidez-moi, car tout se bouscule dans mon esprit ou dans mon cœur», écrivait une lectrice supplantée par une jeunesse, en 1968, tandis qu'une auditrice de Ménie Grégoire gémit, en 1969, «C'est un SOS que je vous lance».

Finies les mijaurées. Dans les courriers du coeur, l'heure est au principe de réalité, souvent incarné par un interlocuteur masculin. Un certain Tom officie chez Glamour. Cosmopolitan a créé le «Cosmo Man», dont l'identité est aussi jalousement protégée que celle du Docteur Love. «Nous n'avons jamais donné son nom et ne le ferons jamais: si les lectrices connaissaient l'identité du Cosmo Man, elles ne se livreraient pas autant», expliquent Séverine Péraud, web éditrice de Cosmopolitan, et Delphine Desneiges, responsable éditoriale.

Chaque semaine, Cosmo Man reçoit une cinquantaine de lettres, avec des pics pendant l'été, qui serait bel et bien la saison des amours. «Les lectrices ne veulent pas perdre de temps, et éviter le "love faux pas": parfois, rien ne sert de s'attarder dans une histoire, et elles préfèrent qu'on le leur dise sans ambages», résume Delphine Desneiges.

Pourtant, leurs tourments sont toujours peu ou prou les mêmes. «Il y a une dizaine de thèmes récurrents», remarque Séverine Péraud. Quels maux font le plus saigner les cœurs? «"J'aime un homme en couple" est un sujet qui revient souvent», note Delphine Desneiges.

Mais la source d'angoisse la plus implacable est aussi la plus immémoriale. La question la plus posée, c'est "Pourquoi ne répond-il pas à mes messages?". «Le courrier du matin fut attendu pour moi, chaque jour, avec des palpitations de cœur auxquelles succédait un état d'abattement quand je n'y avais trouvé que des lettres de personnes qui n'étaient pas Gilberte ou bien rien, ce qui n'était pas pire.» La description est de Marcel Proust, dans A l'ombre des jeunes filles en fleur, publié en 1919.

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