Communication militaire
Le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l'état-major des armées, estime que les médias «ont cherché à faire des images qui n'existaient pas».

Que répondez-vous aux accusations de «Grande Muette» et de verrouillage de l'information?

Thierry Burkhard. Nous gérons la communication opérationnelle. Elle a pour impératif qu'aucune information ne puisse nuire au succès des opérations et, in fine, à la sécurité des soldats français. C'est une responsabilité assez lourde que la «secops», autrement dit la sécurité des opérations. Les ordres sont diffusés sur un réseau confidentiel, nous prenons des mesures pour que l'adversaire ne puisse pas s'apercevoir de notre stratégie. Il s'agit également de faire en sorte que l'ennemi ne comprenne pas ce qu'il va se passer à cause de ce que pourrait dire un média. Dans la conquête de la vallée de l'Amettetaï, dans le Nord du Mali, où il y avait les Français au sud et les Tchadiens à l'est, ce qui a fait basculer la bataille, c'est d'avoir avancé en secret un troisième pion qui est arrivé par le Nord, s'est infiltré à pied, a tronçonné le dispositif ennemi et provoqué la panique. Si un média avait donné cette information, cela aurait pu faire capoter la manœuvre. Les journalistes ne sont pas malintentionnés, mais ils ne se rendent pas toujours compte de ce qu'il transmettent vers l'extérieur.

 

L'information est-elle une réelle menace? De quelle manière peut-elle profiter aux djihadistes?

T.B. Une information qui n'aura pas beaucoup de conséquences pour un citoyen normal en aura pour un ennemi, qui une capacité d'analyse supérieure et qui peut en bénéficier. N'oublions pas que ces gens-là s'informent par Internet et les médias. Ce sont leurs moyens de renseignement. Lorsque nous avons regroupé une dizaine d'avions à Abidjan, un passage satellite aurait montré à un pays du pacte de Varsovie qu'il se passait quelque chose. Eux ne peuvent pas profiter de ces moyens. Mais un journaliste qui filme à Ségou et dit qu'il vient de voir passer 30 véhicules de l'avant blindé (VAB), cela se traduit en termes militaires par «nature, volume attitude» et c'est comme cela qu'on fait un compte rendu de renseignement.

 

Mais il faut bien informer la population française!

T.B. C'est mon deuxième impératif. Une opinion publique qui ne comprend pas ce qu'on fait ne peut pas soutenir l'opération. Elle peut même se laisser manipuler par une communication adverse. Il faut donc faire en sorte que la manœuvre ne soit pas traduisible par l'adversaire. Sur une ligne Bamako-Ségou, il y a deux axes d'attaque possibles: Gao ou Tombouctou. Si le journaliste se poste à 5 km avant Ségou et annonce que la colonne VAB va en direction de Ségou plutôt que vers Tombouctou, est-ce que cela change quelque chose, même si c'est moins précis? C'est ce que nous devons faire comprendre aux journalistes. Certains mentionnent d'ailleurs clairement que l'armée leur a demandé de ne pas dire où ils étaient.

 

On a parlé au début de l'intervention d'une guerre sans images. Est-ce justifié?

T.B. Quand 150 journalistes débarquent à Bamako, je n'ai aucune possibilité de tous les satisfaire: ils veulent tous être dans le VAB de tête, et si possible tout seul, sans autre journaliste. Mais quand je mets un journaliste, j'enlève un soldat! D'autant qu'ils veulent tous des images de combat et que, jusqu'à ce qu'il se mette dans la vallée l'Amettetaï, l'ennemi a refusé le combat. Les médias ont donc cherché à faire des images qui n'existaient pas ou à voir des combats qui n'ont pas réellement eu lieu. Ils en ont déduit qu'on leur cachait les combats.

 

Comment sélectionnez-vous les images que vous fournissez aux médias?

T.B. La majeure partie des images de l'Ametteteï, c'est nous qui les avons fournies. Je choisis les plus fortes car c'est ce que les médias attendent et je garde certaines d'entre elles, comme la remise en forme après le combat, pour les archives. Au nom de la dignité et vis-à-vis des familles, nous ne montrerons pas d'images de soldats blessés ou tués, et ce des deux côtés. Quand il y a un accident de la route, on ne va pas filmer les cadavres dans les voitures! Je m'appuie aussi sur les services de santé, qui estiment que la médiatisation d'un blessé ne l'aide pas à guérir.

 

Avez-vous empêché des journalistes de se rendre sur les zones de combat?

T.B.Non, l'armée française n'a aucun moyen de bloquer un média. Tout journaliste peut aller voir Aqmi dans l'Amettetaï s'il le veut. Au nom de la liberté de la presse, je ne peux l'en empêcher. Je constate qu'il n'y en a pas un seul qui a voulu y aller. Lorsque les Maliens ont bloqué l'accès à des journalistes, nous leur avons glissé le conseil de les laisser passer, car un journaliste qui ne voit pas racontera forcément des mauvaises choses.

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