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Les poches pleines de Jeff Bezos, le nouveau propriétaire du Washington Post, font rêver les journalistes. Soulagés que l'homme qui a réinventé le supermarché en ligne se penche sur leur vieux quotidien.

Tristes, choqués et pleins d'espoir. L'annonce, début août, de la vente du Washington Post au milliardaire Jeff Bezos, fondateur et PDG d'Amazon, a plus qu'étonné les journalistes du quotidien. Don Graham, le propriétaire du groupe de presse, s'était si discrétement mis en quête d'un acheteur à la fin 2012 que seuls les membres du conseil d'administration et sa nièce Katharine Weymouth, éditrice du journal, étaient au courant.

Lorsqu'il a pris l'ascenseur du journal pour aller annoncer la nouvelle de la vente à 250 millions de dollars, le mystère demeurait. "Est ce que c'est grave?" lui a demandé un reporter dans l'ascenseur. "Non, ce sera une bonne nouvelle", a répliqué, sybillin, le fils de la grande Katharine Graham, celle qui avait tenu tête au président Nixon quand ses jeunes turcs Bob Woodward et Carl Bernstein révélaient le scandale du Watergate.

"On n'aime pas voir les gardiens d'un trésor national vendre à un outsider", explique Sree Sreenivasan, professeur de l'école de journalisme de l'université Columbia et patron de la division Internet au Metropolitan de New York. Les journalistes du quotidien se croyaient liés à vie à la famille Graham. Ils se retrouvent aujourd'hui dans les paroles de Bob Woodward, devenu  l'un des cadres du journal. "C'est très triste", a reconnu ce dernier à la télévision, dans l'émission Morning Joe. Mais, a-t-il repris aussitôt, "si quelqu'un doit réussir, c'est Bezos".

"Le Post est mort, longue vie au Post"

Et toutes les grosses pointures du quotidien, anciennes et nouvelles, d'enchaîner les messages d'espoir. Sally Quinn, l'experte ès religions du Post, est prête à tenter l'aventure en habituée des phases d'adaptation: "Je n'ai pas vécu plus d'un an et demi au même endroit", lâche cette fille de militaire, sur le Daily Beast. Ezra Klein, éditeur du Wonkblog pour le Washington Post, s'avoue "choqué et plein d'espoir". Henry Allen, un ancien qui a passé 39 ans aux manettes du quotidien, entend, lui, embrasser l'avenir à pleines dents. "Le Post est mort, écrit-il dans les colonnes du New York Times, longue vie au Post."

Jeff Bezos n'a guère donné de détails sur ses intentions. Mais il rassure. L'investisseur garde l'équipe dirigeante en place, Katharine Weymouth reste. Et il ne veut pas gérer le Washington Post au jour le jour. Amazon l'occupe a temps plein. "Il y aura bien sûr des changements dans les années à venir, a-t-il dit à ses nouveaux salariés, nous aurons besoin d'inventer et d'expérimenter."

Cette vague promesse plaît. "La voie que suivait le quotidien avec des pertes annuelles de 50 millions de dollars et plus ne pouvait pas bien se terminer", lâche Sree Sreenivasan. Tandis que Rick Edmonds, l'analyste du Poynter Institute, l'école de journalisme de Saint Petersburg (Floride), loue les qualités de Jeff Bezos: "Il peut apporter beaucoup d'argent, il est patient et il a plein de bonnes idées pour réussir ses affaires sur Internet." La famille Graham, propriétaire du Post depuis 1933, avait "de moins en moins de moyens et d'idées", poursuit-il.

Jeff Bezos pourrait certes profiter de son nouveau pupitre à Washington pour tenter d'influencer les lois sur la taxation des ventes sur Internet, ou la politique d'immigration des ingénieurs étrangers aux Etats-Unis, note Rick Edmonds. Mais les journalistes préfèrent se concentrer sur la bonne nouvelle: le milliardaire est capable de payer développeurs et designers pour réinventer le journal.

Du reste, Amazon s'intéresse à la presse, comme en témoigne un accord passé en août avec Condé Nast visant à gérer ses abonnements. "Est-ce que je vais bénéficier maintenant des envois gratuits d'Amazon Prime?" a plaisanté le journaliste politique Niraj Chokshi sur Twitter. Faut peut-être pas pousser.

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