télévision
La chaîne francophone internationale participait au Casbaa, convention des médias audiovisuels asiatiques à Hong Kong du 20 au 24 octobre. La zone Asie-Pacifique est devenue prioritaire pour TV5. Reportage.

Comme une Silicon Valley baignée par la mer de Chine. Des fenêtres du 100, Cyberport Road, les branches des banians se balancent doucement dans le tiède vent d'octobre tandis qu'une brume rosée nimbe peu à peu le rivage sud de l'île de Hongkong. Dans la région administrative spéciale (RAS), les loyers comptent parmi les plus chers du monde, et le mètre carré commercial est plus onéreux sur le Times Square du quartier de Causeway Bay que sur les Champs Elysées. Pourtant ici, à Cyberport, «le prix des bureaux est moins élevé qu'à Paris», souligne Alexandre Muller, directeur de TV5 Asie: Richard Li, patron de la société de télécommunication PCCW et fils de l'homme le plus puissant d'Asie, Li Ka-Shing, a investi pas moins de 2 milliards de dollars pour développer ces 24 hectares dévolus aux médias et aux hautes technologies.

Dans la suite 704-706, ce 24 octobre, les jeunes équipes de TV5 Monde Asie (une petite dizaine de personnes) mettent la dernière main au site de la région Asie-Pacifique, et surtout, à son nouveau «player». Yves Bigot, directeur général des programmes de TV5 Monde, et Jean-Luc Cronel, directeur marketing, distribution et commercialisation, sont venus de Paris pour voir à l'œuvre ce nouveau e-player freemium, testé en avant-première sur la zone. Développée avec l'opérateur japonais Softbank, cette solution de diffusion en ligne multiécrans propose l'accès à certains programmes, la possibilité de les commenter sur les réseaux sociaux, de bénéficier de la VOD mais aussi d'utiliser son téléphone en guise de télécommande. «Un modèle économique hybride, entre le multicast et le peer-to-peer», explique Alexandre Muller, qui vise les 100 000 téléchargements freemium et les 20 000 abonnés d'ici à 2014.

«Il s'agit d'être plus malins que les pirates»: deux jours auparavant, le 22 octobre, la déclaration d'Yves Bigot, invité d'ouverture du Casbaa, la convention des médias audiovisuels d'Asie-Pacifique, avait des intonations belliqueuses. «Hong Kong est le paradis du téléchargement illégal, avec le plus haut débit du monde... Dans ces conditions, notre croissance dans la région, qui devrait atteindre les 20 % l'an prochain, dépend de notre capacité à innover», a martelé Yves Bigot.

Occuper le terrain

La piraterie était au cœur des débats du Casbaa, nichés dans les salons feutrés du Grand Hyatt, au bord de la baie de Hongkong dans Central, l'étincelant quartier des affaires. En préambule, le ministre des finances de Hongkong, John Tsang Chun-Wah, arrivé sous haute escorte, affirmait sans rire non seulement le désir de la région administrative spéciale de la République Populaire de Chine de «chérir la liberté d'expression» mais aussi la volonté d'endiguer les téléchargements illégaux: ils concernaient, en 2013, 94,1 millions d'utilisateurs en Asie-Pacifique (source: étude de Now TV, pay TV hongkongaise et Net Names, société de protection des marques).

Hors de question de laisser les pirates piller les ondes: pour TV5, la zone, qui abrite ses deux chaînes, TV5 Monde Asie et TV5 Monde Pacifique, représente plus de 40 millions de foyers, en progression de 50% en un an. Soit désormais la deuxième zone de distribution du monde après l'Europe (144 millions de foyers) et avant le Maghreb/Moyen-Orient (31 millions de foyers), avec des recettes en progression de 70% en trois ans. HBO, Turner, Fox... Après des années de frilosité, les chaînes américaines commencent aussi à y sortir l'artillerie lourde: «Les problématiques de piraterie les empêchaient de venir sur le marché, mais avec le boom de la télé payante, elles attaquent depuis deux ou trois ans avec une stratégie simple: occuper le terrain en proposant des packages de dix chaînes aux opérateurs», constate Jean-Luc Cronel.

Village gaulois

Dans ce contexte guerrier, TV5 Monde ferait presque figure de village gaulois, si l'on en croit Yves Bigot: «Nous sommes une chaîne de niche, à la fois française et mondiale. Comme nous ne sommes pas les plus puissants, il nous incombe d'être plus rapides, plus rusés», s'amuse-t-il. D'autant que la frénésie urbaine de Hongkong, mais aussi ses larges étendues de montagnes, de forêts vierges et de plages (80 % de la RAS) attirent depuis deux ans, selon Alexandre Muller, «plus de 100 Français par mois, le plus souvent des jeunes». Dans le bureau de TV5 Asie, Romain Oudart, responsable Internet et médias connectés, et Julien Dutronc, responsable marketing, distribution et commercialisation, pas encore trentenaires, font partie de ces expatriés juniors. Sans mal du pays: tous deux comptent au moins attendre dans la péninsule chinoise le cap des sept ans, au terme desquels ils pourront bénéficier de la fort prisée nationalité hong-kongaise.

Mais dans cette région du monde où le général de Gaulle, qui fut en 1964 le premier à reconnaître la République populaire de Chine, est plus vénéré que Zinedine Zidane, le gros de l'audience ne provient pas des «expats» mais des populations locales. Francophiles, elles suivent TV5 Monde grâce aux sous-titrages vietnamiens, coréens ou japonais. Ainsi, les 600 000 téléspectateurs hebdomadaires pouvaient, fin octobre, suivre un cycle Eric Rohmer sous-titré dans leur langue. «Grâce au sous-titrage, dont le budget global représente 2 millions d'euros par an, le chien TV5 sort de sa niche», résume plaisamment Jean-Luc Cronel. En 2014, la chaîne introduira le sous-titrage en bahassa indonésien, ainsi que le mandarin, et compte, par ailleurs, développer une chaîne consacrée à l'art de vivre so french.

«Avec l'Inde et ses 800 000 téléspectateurs, en progression de 100% en un an, la zone est prioritaire», souligne Jean-Luc Cronel. Mais les regards se braquent sur d'autres rivages, ceux du continent africain. Selon un rapport de l'ONU paru en septembre, en 2050, la population francophone passera de 250 millions à 715 millions d'individus, en partie grâce à l'explosion démographique attendue en Afrique, qui représentera 85 % des francophones. Chez TV5, on se prépare déjà à ce changement de géographie. Un proverbe cantonais ne dit-il pas: «Il faut faire vite ce qui ne presse pas pour faire lentement ce qui presse»?

 

Encadré

 

TV5Monde sur le terrain du «news»

 

«Notre talon d'Achille, c'est la France.» Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde, ne se cache pas derrière son petit doigt. «Nous n'existons pas médiatiquement en France où très peu de téléspectateurs nous regardent [0,9 point d'audience]». Le 27 octobre, la chaîne lançait un JT quotidien, 64 minutes, diffusé à 18 heures, «afin de ne pas gêner nos partenaires, les chaînes publiques françaises, mais aussi de favoriser les reprises dans d'autres médias». Yves Bigot entend promouvoir «les regards croisés francophones et haut de gamme sur l'actu». Le nouveau développement sera présenté à Montréal, le 15 novembre, où le patron de TV5 fera valider son plan stratégique auprès de ses quinze partenaires francophones, avec un budget qui devrait passer de 107 à 109 millions d'euros en 2014.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.