profession
A la suite des enlèvements de journalistes, les grandes rédactions sont de plus en plus nombreuses à refuser de suivre le conflit du côté des rebelles. Ce sera l'un des thèmes abordés aux Assises du journalisme.

Didier François et Edouard Elias d'Europe 1, Nicolas Hénin et Pierre Torres... 32 journalistes ont été enlevés en Syrie selon Reporters sans frontières (RSF), dont 17 étrangers. Arnaud de La Grange, chef adjoint du service étranger du Figaro, parle de «coefficient de risque maximal»: «On n'envoie plus personne sur la Syrie côté zone rebelle. Il y a le risque d'être victime d'un enlèvement. On n'est plus dans l'exception, on est dans la règle». Marc Saïkali, directeur de la rédaction de France 24, abonde: «Les journalistes sont des cibles. Le fait nouveau, c'est qu'ils ne sont parfois même pas une monnaie d'échange, ils sont enlevés et tués.» 25 journalistes syriens et six étrangers sont morts depuis le début du conflit, selon RSF.

A France 2, une décision a été prise après la mort de Gilles Jacquier, en janvier 2012, «celle de continuer à faire notre travail mais pas dans n'importe quelle conditions et pas pour faire n'importe quoi», souligne Eric Monier, directeur de la rédaction et ancien reporter. Depuis, onze missions ont été assurés car les garanties étaient apportées: une sécurité relative, le contact avec les accompagnants...

Il y a eu, selon lui «deux phases» dans la guerre: la première, où Damas distribuait ses visas au compte-gouttes et où les rebelles de l'Armée syrienne libre intégraient des équipes de journalistes. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse: «En passant par Damas, c'est plus sûr et plus facile. Les journalistes sont sous contrainte mais ils courent moins de risques que dans les zones rebelles avec des gens qui peuvent disparaître et des passeurs qui peuvent vous livrer», observe-t-il. Christophe Deloire, directeur général de RSF, relève qu'il «est difficile d'avoir des repères précis et de savoir qui est qui en Syrie, sans doute car il y a une tradition de manipulation».

«Un conflit qu'on couvre mal»

L'AFP, qui dispose de son bureau à Damas avec quatre journalistes syriens, ne couvre plus directement la zone contrôlée par les rebelles ou Al-Qaïda: «On n'a plus envoyé de journalistes dans les zones rebelles depuis l'été», reconnaît Philippe Massonnet, directeur de l'information, pour qui «la Syrie est un conflit qu'on couvre mal». D'un côté, l'encadrement maximum du régime syrien, de l'autre l'absence totale de sécurité. En début d'année, les règles ont été renforcées sur les stringers ou free-lance.

L'agence refuse les sujets proposés par des pigistes en Syrie. «On essaye de décourager les jeunes journalistes de prendre des risques. Mais ne soyons pas hypocrite, si la production est de qualité, on valide ou pas », dit-il. Cécile Mégie, directrice de RFI, est plus radicale encore: «On envoie personne sauf autorisation ou visa et on ne sous traite pas le risque.»

L'équipement a été revu: les rédactions françaises n'emploient pas de garde du corps à la différence des anglo-saxons, mais elles ont recours au gilet pare-balles, et surtout aux trackers de géolocalisation avec des possibilités de donner l'alarme. Face à un pays qui une grande expérience des systèmes électroniques, il faut néanmoins éviter de se faire repérer pour ne pas servir de cible. Des procédures techniques particulières par voie satellitaire sont pour cela prévues.

Par où passer? L'entrée par le Nord de la Syrie, à la frontière turque, est devenue quasiment impossible. «On cherche de nouvelles routes comme tout le monde. Entrer par la Turquie, c'est la roulette russe, et sans visa à Damas, ce n'est pas mieux», relève Marc Saïkali, qui se dit «écartelé entre le devoir moral de couvrir et le souci de ne pas faire mourir de journalistes». Ou comme il dit «ne pas mourir pour une 1 minute 30».

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.