Pour vérifier en temps réel la parole des hommes politiques, le Washington Post a mis au point une application de «fact checking» basée sur un algorithme. Les explications de Cory Haik, rédactrice en chef de l'actualité numérique au quotidien américain et responsable du projet «Truth Teller».

Comment le projet Truth Teller est-il né?

 

Cory Haik. C'était pendant la primaire républicaine en vue de l'élection présidentielle de 2012. A l'époque, le chef de la rubrique politique intérieure était dans l'Iowa, à un meeting de Michele Bachmann et celle-ci a passé les 45 minutes de son discours à mentir à des gens qui avaient tous un téléphone dans la main. C'est à ce moment-là qu'on a eu l'idée de Truth Teller: proposer à une personne la possibilité d'enregistrer une vidéo d'un candidat politique et de nous l'envoyer pour vérification. Au printemps de l'année dernière, nous avons développé un prototype et nous avons aujourd'hui une application qui fonctionne.

 

Comment cela fonctionne-t-il?

 

C.H. Comme d'autres médias, le Washington Post consacre de l'argent au fact checking. Nous vivons dans un environnement où de nombreux hommes politiques disent des mensonges et les répètent à longueur d'année. Et même si les électeurs savent qu'il y a des mensonges, à force de les répéter encore et toujours, ils finissent d'une certaine manière par marquer les esprits. Nous pensons qu'il est de notre responsabilité d'établir la vérité et de dénoncer les mensonges aussi vite que nous le pouvons. Pour cela, nous avons demandé à nos journalistes politiques d'entrer dans une base de données des faits qui pourraient ensuite servir à vérifier des discours. Nous avons ensuite élaboré un algorithme qui cherche des affirmations dans une vidéo et qui les retranscrit sous forme de texte. Puis, nous croisons ce texte avec notre base de données pour voir s'il existe des faits permettant de vérifier ce qui est dit. Au final, quand la personne lit la vidéo sur son téléphone, elle voit en temps réel si telle phrase est juste ou si c'est un mensonge.

 

L'application Truth Teller est-elle déjà disponible pour le grand public?

 

C.H. Nous allons vraiment lancer cette fonctionnalité pour l'élection présidentielle américaine de 2016. Pour l'instant, nous pouvons la faire fonctionner sur des vidéos que nous avons déjà, mais l'objectif est vraiment de permettre à quelqu'un qui filme avec son portable un meeting de démêler en temps réel le vrai du faux.

 

N'y a-t-il pas un risque à ce que votre outil soit politiquement biaisé?

 

C.H. Tant qu'on cherche à vérifier des faits, ce n'est pas quelque chose qui nous inquiète. Nous faisons ce travail de façon objective, et sur des politiques de tout bord. Nous allons utiliser Truth Teller durant le discours sur l'état de l'Union début 2014; nous l'avons utilisé durant les auditions sur la mise en place de la réforme de la santé du président Obama. Pour les élections de mi-mandat dans un an, nous aimerions l'utiliser dans le maximum de circonscriptions, et donc sur les candidats des deux partis politiques. Nous disons la vérité sur tout le monde.

 

Est-ce que nous entrons dans un nouvel âge du fact checking, mené désormais par des robots?

 

C.H. J'essaie de ne pas utiliser le mot «robot», même si je l'aime bien, parce que c'est un ordinateur qui fait le travail et que le mot suscite de la nervosité. En aucun cas, nous allons remplacer les journalistes par des ordinateurs. Nous utilisons les nouvelles technologies pour aider le journalisme à être plus dans son temps. Elles permettent aux journalistes d'être plus rapides, de toucher plus de personnes, de s'adresser à des gens qu'ils n'auraient pas pu toucher avant. Face au flux d'informations qui ne cesse jamais, nous devons utiliser les nouvelles technologies du mieux possible pour dire la vérité aussi vite que nous le pouvons. L'élection de 2012 a marqué une première étape. En 2016, nous devrons avoir la bonne technologie pour être capable de faire ce travail.

 

Est-ce efficace pour lutter contre les mensonges des politiques?

 

C.H. Peut-être pas encore. Mais on voit déjà que les hommes politiques utilisent notre travail, nos investigations, contre leurs adversaires. Le journalisme peut avoir une influence sur les politiques publiques et sur ce que disent les hommes politiques. Le but ultime pour Truth Teller est de fondamentalement changer ce que disent les leaders politiques. C'est ambitieux mais c'est notre but.

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