Politique
Les dirigeants des groupes audiovisuels publics ont remis leur copie pour aboutir à des rapprochements dans divers domaines. Mais l’effort est jugé encore timide aux yeux du gouvernement.

« C'est un grand corps malade sur lequel devraient être pratiquées d'urgence quinze opérations en même temps, mais aucun malade ne peut le supporter ». Ce dirigeant de l'audiovisuel public qui a tenu à garder l'anonymat fait un constat sévère de France Télévisions : lien rompu avec les Français, incompétences dans la vidéo à la demande, financement de lobbies culturels à travers la télé publique, superpositions d'entreprises autonomes sans volonté de réforme, producteurs abonnés à la commande publique, interférences syndicales dans la gouvernance... Serait-ce à ce système que pense Emmanuel Macron lorsqu'il parle devant les députés En Marche de « honte » de l'audiovisuel public ? À l'Elysée, sous le mandat de son prédécesseur, la maison était apparue irréformable... à moins de faire table rase du passé. 

Urgences

Le 21 décembre, après avoir reçu rue de Valois les patrons des entreprises publiques venus présenter leurs pistes de rapprochement, la ministre de la Culture Françoise Nyssen n'a pu cacher une certaine impatience : « Je leur ai demandé d'être encore plus offensifs, plus audacieux et de rentrer dans les détails » a-t-elle lâché devant la presse avant de citer Aragon : « L'art, c'est toujours la remise en question de l'acquis ». Car, pour la ministre, il y a bien urgence : « Urgence face à la globalisation et aux bouleversements technologiques, urgence sociale face aux appétits et à la surconsommation d'images, urgence de retrouver la confiance des publics... » 

Les projets communs proposés par les PDG de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA, auxquels se sont adjoints les dirigeants d'Arte et de TV5, tentent de faire face à ces urgences par des mutualisations. Il s'agit d'abord, selon une note commune remise à la ministre, de s'inspirer de la chaîne Franceinfo pour « accélérer les synergies dans la production de contenus chauds destinés à une double ou triple diffusion » et de « devenir un carrefour de référence pour le public lorsqu'un événement survient ». Ensuite, il est préconisé de favoriser les rapprochements éditoriaux au niveau local, avec des offres numériques adaptées « sans exclure a priori PQR et chaînes locales ». Des matinales en commun pourraient associer France 3 et France bleu, et des synergies de locaux seraient décidées au cas par cas à l'occasion de telle ou telle fin de bail, comme pour France Bleu Armorique et France 3 Rennes à partir de 2021.
Sur le plan structurel, sont évoqués la création de bureaux communs à l'étranger ou le recours à des ressources transverses : France 24, qui fait appel à 160 sociétés de production extérieures, pourrait ainsi permettre aux journalistes de France TV de s'appuyer sur un réseau de correspondants sur le terrain. La note suggère aussi des achats groupés, des études communes ou un campus de formation propre au service public. Enfin, sur le plan publicitaire, elle dessine trois possibilités : une co-entreprise, un GIE [groupement d'intérêt économique] ou une régie unique. À l'image des accords existants qui permettent à France TV Publicité de commercialiser France 24 ou les espaces vidéo de Radio France, il s'agit aussi de multiplier les mutualisations : la régie de RFI en Île-de-France pourrait ainsi être assurée par Radio France Publicité. 

Questions d'argent 

De telles pistes seront-elles suffisantes pour répondre au désir de l'exécutif d'une « large et ambitieuse transformation » comme dit Françoise Nyssen ? On peut en douter. Sur France 2, le 17 décembre, Emmanuel Macron a rappelé que les 4 milliards d'euros dépensés par l'État dans l'audiovisuel public constituaient le premier budget du ministère de la Culture.  « Il y a de l'argent, mais est-ce qu'on le met au bon endroit et surtout est-ce l'organisation collective la plus pertinente ? » interrogeait-il. Selon un conseiller du ministère de la Culture, la réforme de la redevance - qui serait étendue à tous les terminaux - ne pourra entrer en vigueur dans la loi de finances 2019 qu'à condition qu'ait abouti au préalable le chantier de la transformation.
C'est avant la fin janvier que devront être remises par les dirigeants publics les réponses détaillées aux réformes demandées. Le cadre de la gouvernance envisagée - qui pourrait inclure la constitution d'une holding voire d'une présidence commune - devrait aussi être annoncé avant la fin du mois. Mais c'est surtout sur la clarification des missions que l'exécutif est attendu alors que le comité d'action publique 2022, chargé de réfléchir à l'avenir du secteur, remettra ses conclusions à la fin du premier trimestre. Sur ce point, le chantier apparaît encore ouvert et tout reste à faire. « On ne peut plus se contenter de dire que le service public est là pour divertir, informer et cultiver, relève Pascal Josèphe, président du cabinet IMCA, il faut dire comment on apporte davantage que l'offre privée dans la cohésion sociale ou l'accès à la connaissance ». Pour celui qui fut finaliste lors de l'élection du président de France Télévisions par le CSA, il importe par exemple de préciser la spécificité de l'audiovisuel public dans le domaine sportif ou la fiction. « France Télévisions pourrait davantage s'inspirer du patrimoine littéraire, note-il, à l'instar de la BBC qui s'est donnée pour mission de revisiter tous les grands auteurs. »

Des chantiers « prioritaires »

De même, l’expert estime que « l’organisation de France Télévisions a moins évolué que son environnement numérique, le transmédia n’ayant pas été érigé en système de pensée à tous les étages ». Si l’on veut conquérir de nouveaux publics, chantier qualifié de « prioritaire » par Françoise Nyssen, on ne peut plus se contenter de reproduire ce qui marche pour sauver ses parts de marché. « L’offre n’est pas suffisamment ouverte aux jeunes et aux actifs », estime Pascal Josèphe. Pour y remédier, le spécialiste préconise d’utiliser les antennes comme « levier de l’offre numérique ». Son idée ? Que les grilles de programmes deviennent « les vitrines d’une offre digitale beaucoup plus riche ». Objectif : satisfaire des attentes d’hyperindividualisation propre au smartphone et d’hypercommunion par le partage des émotions sur l’écran du salon.
L’offre délinéarisée doit ainsi venir s’articuler dans la compréhension des attentes des publics aux différents moments de la journée. Le ministère prévoit la création de verticales sur diverses thématiques et s’interroge sur l’opportunité de lancer une offre numérique unique pour l’ensemble de l’audiovisuel public. Quoi qu’il en soit, il s’agit de penser en termes de « media global » à travers des plateformes communes notamment pour l’information et les programmes éducatifs et culturels. Des coopérations européennes et internationales doivent aussi être mises en branle pour nourrir le service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), deux fois retardé par Delphine Ernotte. L'idée est désormais de sortir de la logique de silos entre les entreprises audiovisuelles pour replacer au centre du dispositif la question des publics. Et non plus l’affermage à des sociétés de production. « Ce qui est essentiel, c’est de vérifier l’utilité sociale de l’euro investi, conclut Pascal Josèphe. Le couple qui existait jusqu’en 2010 entre l’administrateur de programme et le directeur d’unité de programme a été broyé au fil des réformes. Il veillait à ce que les objectifs soient atteints jour après jour. »

 


 

Encadrés


Une consultation publique en gestation

Alors que le modèle de la BBC est souvent évoqué pour l’audiovisuel public, le ministère de la Culture a auditionné Catherine Smadja, head of special projects à la BBC, et en a retenu une méthode : pour engager une profonde réforme qui a conduit la « Beeb » [surnom de la BBC] à consacrer beaucoup moins d'argent au divertissement, il ne faut pas partir d'une copie blanche mais des attentes des téléspectateurs. C'est pourquoi Françoise Nyssen a suggéré à l'Élysée à la fin décembre d'organiser avec un Institut de sondage une consultation publique sur le service public audiovisuel.

 

 

Menace sur le Soir 3

La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, qui a fait l'objet d'une motion de défiance votée par 84% des journalistes des rédactions nationales de son groupe le 12 décembre, apparaît fragilisée entre les exigences peu claires de l'Etat actionnaire et l'hostilité des journalistes. Trente d'entre eux devront partir en 2018 pour répondre à l'engagemenent de 180 départs parmi les effectifs de France Télévisions cette année. Dans ce contexte, le Soir 3 pourrait être supprimé le week-end. Déjà,  le 15 décembre, les salariés du journal du soir de France 3 ont découvert au dernier moment que le film Van Gogh avait eu raison de leur édition.  «Aucune explication ne nous a été donnée, on est persuadé que la suppression du Soir 3 le week-end est acté dès la rentrée de janvier», confiait fin décembre Raoul Advocat, délégué du Syndicat national des journalistes du groupe public.



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