Télévision
En signant avec Orange un accord de distribution après un mois de conflit ouvert, TF1 remporte son pari de faire payer les opérateurs pour ses contenus. Mais la partie de poker n’est pas terminée.

Le coup de stress aura duré six jours. Après l’annonce de la coupure du signal des chaînes TF1 par le groupe Canal+ dans la nuit du 1er au 2 mars, les menaces d’Orange et Free de lui emboîter le pas, et les audiences du groupe audiovisuel qui ont nettement fléchi les premiers jours, les dirigeants du groupe TF1 ont dû avoir des sueurs froides. Soulagement le 8 mars au soir avec l’annonce d’un accord de distribution globale avec Orange. « À ce moment-là, le marché a basculé. Aujourd’hui, la majorité des opérateurs ont signé [SFR, Bouygues Telecom et Orange] ; il n’y aura pas de retour en arrière », se félicite-t-on du côté de TF1, qui cherche encore un accord avec Canal+ et Free.

Un périmètre à géométrie variable

Un accord, mais à quel prix ? Du côté d’Orange, on parle de 15 millions d’euros par an, quand TF1 en réclamait 20. Côté TF1, la fourchette avancée s’élève à 20-25 millions d’euros pour l’ensemble des chaînes. Le périmètre de l’accord varie également selon les parties : Orange assure ne pas rémunérer le signal des cinq chaînes en clair du groupe TF1 (TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI) mais seulement les services associés comme le replay et des fonctions comme le start-over, qui permet de reprendre un programme depuis le début. « Il y a bien rémunération du flux. Nous ne serions pas à ces niveaux de rémunération sinon, c’est ça qui a le plus de valeur », répond-on côté TF1. « Chacun peut donner le sentiment qu’il a obtenu satisfaction », renchérit un dirigeant d'Orange.

Entamées il y a deux ans, avec l’arrivée à expiration des accords conclus au moment de la fusion de Canalsat et TPS en 2006, les négociations entre TF1 et Orange avaient connu un coup d’arrêt le 31 janvier dernier. Faute d’accord, TF1 avait alors suspendu son service de replay MyTF1 sur les box Orange et assigné l’opérateur pour qu’il cesse la commercialisation de ses chaînes, comme le groupe audiovisuel l’avait fait avec SFR à l’été 2017. « Ces dernières semaines, c’est plus sur des questions de principe [essentiellement autour de la rémunération du signal] que les négociations bloquaient que sur le prix », note Philippe Bailly, président du cabinet NPA Conseil.

Canal+, le détonateur

La décision du groupe Canal+ de couper le signal de TF1 auprès de ses abonnés box et satellite, soit plus de 5,8 millions de foyers touchés, a très certainement accéléré les choses. « La coupure par Canal a été un détonateur ; ça a permis plus de souplesse du côté de TF1 », estime-t-on du côté d’Orange. D’autant que l’impact de la coupure sur les audiences de TF1 a commencé à se faire sentir : l’agence Publicis Media chiffre entre -11 % et -12 % la baisse d’audience les deux premiers jours suivant la coupure.

L’intervention de la ministre de la Culture le 7 mars, d’abord sur France Inter puis par voie de communiqué, a fait le reste. En déclarant la coupure du signal aux personnes qui disposent uniquement de l’offre TNT Sat, qui permet de recevoir la TNT dans les zones blanches, « totalement contraire au principe de couverture intégrale de la population », Françoise Nyssen a conduit Canal à rétablir son signal à l’ensemble de ses abonnés satellitaires (3,8 millions de foyers), soit plus largement que ce que demandait la ministre. Moins de trois jours plus tard, Canal+ annonçait même le rétablissement du signal à l’ensemble de ses abonnés, alors même que le directeur général du groupe, Maxime Saada, avait indiqué initialement qu’il était « hors de question qu'on remette le signal tant qu'on n'a pas un accord avec TF1 ». Entretemps, les plaintes d’abonnés se sont multipliées, une source côté TF1 parlant même d’une « hémorragie d’abonnés ».

Un « trou d'air » en termes d'audiences

Interrogé sur Franceinfo le 9 mars, au lendemain de l’accord avec Orange, le patron du groupe TF1, Gilles Pélisson, s’est réjoui que la coupure décidée par Canal+ ne se soit pas traduite par un effondrement des audiences mais seulement par un « trou d’air de quelques jours ». Dans une note interne envoyée à ses clients, Publicis Media chiffre à -9 % la baisse d’audience sur les cibles publicitaires (25-49 ans, FRDA [Femme responsable des achats] -50 ans) durant les six jours de coupure totale. Sur le plan publicitaire, ces niveaux moindres d’audience ont été gérés par la régie de TF1 en espaces gracieux, en raison du faible encombrement publicitaire et de la durée limitée de la coupure. Depuis le 9 mars, « il n’y a plus d’effet perte d’audience pour TF1 », note Publicis Media.

Reste qu’un accord doit encore être trouvé avec Canal+ et Free, qui n’a pas mis ses menaces de coupure à exécution. « Ce serait compliqué pour Free d’être le seul à ne pas rémunérer TF1 », estime Philippe Bailly, de NPA Conseil. Canal+ s’est dit de son côté « disposé à négocier avec le groupe TF1 la rémunération de ces services sur une base raisonnable et non discriminatoire par rapport aux accords signés avec les autres distributeurs ».

« Au-delà de ce conflit, qui a été surmédiatisé, comme tous les sujets médias, le vrai sujet porte sur le modèle des chaînes gratuites, qui font face à une raréfaction de leurs ressources publicitaires. Ces accords ne règlent pas le problème », remarque un proche de la direction d’Orange. Autres inquiétudes, celles des chaînes payantes. Dans un communiqué, l’Association des chaînes conventionnées éditrices de services (ACCeS) juge « toute rémunération des chaînes gratuites par les opérateurs injustifiée et de nature à fragiliser l’économie des chaînes payantes, et tout le système de financement de l’audiovisuel et de la création en particulier ».

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