Dossier Innovations régies
Les structures commerciales des médias revoient leur positionnement, ne se limitant plus à la vente d’espaces publicitaires, pour accompagner au plus près les annonceurs.

Ganz, 14 Haussmann, Studio Imagine, Creative Hub… Ces derniers mois, de nouvelles structures ont fait leur apparition sur le marché publicitaire, des enseignes arborant un nom d’agence de publicité et comptant parfois dans leurs équipes des planneurs stratégiques, des concepteurs-rédacteurs, des directeurs de création et autres fonctions habituellement dévolues à une structure créative. Certaines ont toutefois adopté une appellation rappelant simplement tant leur groupe d’origine que leur activité, à l’instar de Canal Brand Factory, TF1 Live ou Mondadori Mediaconnect. Mais, qu’elles prennent ou non les atours d’une agence de publicité, elles ont toutes la même finalité : développer des services personnalisés pour les annonceurs, renforcer les liens avec des marques en proposant des prestations bien plus larges que la simple vente d’espaces publicitaires.

Un besoin de rationalité chez les annonceurs

« L’innovation aujourd’hui pour une régie, c’est d’avoir tous les leviers pour répondre aux demandes des marques », souligne Virginie Lubot, directrice exécutive adjointe de Prisma Media Solutions. D’où le lancement par son groupe de Ganz, « une agence en stratégie de contenus, de content thinking ». Sa responsable ressent « un besoin de rationalité chez les annonceurs. Il faut être capable de déterminer quels sont les contenus, pour quelle cible, par quel canal. C’est ce que nous voulons leur apporter, en définissant également les bons indicateurs de mesure ». Ce diagnostic et ce remède sont partagés par ses confrères, pour lesquels l’innovation ne peut se limiter aux technologies, en pleine expansion depuis deux décennies, mais souvent synonymes de complexification.

De son côté, Mondadori Publicité « s’est rendu compte qu’il fallait une organisation simple et visible, et pouvoir s’adresser à chaque typologie de clients », relate Cécile Chambaudrie, directrice exécutive de la régie, dont elle a pris les rênes fin août 2017. La stratégie et l'organisation ont donc été revues pour aboutir en janvier dernier à un changement d’identité – Mondadori Mediaconnect - et à un nouveau positionnement, celui de « créateur d’expérience ». « En dehors de la pagination classique, nous avons tous un travail à faire sur la capacité de la presse à accompagner les annonceurs et leurs agences, et à nous inscrire dans plus de créativité. Nous devons avoir des réponses sur mesure », analyse Cécile Chambaudrie, qui mise notamment sur le Creative Hub, la nouvelle entité créée au sein de la régie. Cela se concrétise par exemple par la réalisation et la distribution d’un « Fashion news by Grazia » avec les conseils beauté de Dior lors de la Fashion Week. Le sur-mesure, véritable leitmotiv chez Prisma Media, s’est également concrétisé début avril par le lancement de MyPMS. « Chaque annonceur dispose d’une équipe dédiée, pour le suivre dans sa problématique au quotidien, avance Philipp Schmidt, directeur exécutif. Avec un responsable par client et avec des experts accompagnant plusieurs équipes. »

L'ambition d'excellence

Toutes ces réorganisations s’inscrivent dans une réflexion plus globale, « et pas seulement sur nos métiers », selon Corinne Mrejen, la présidente de Team Media (Les Echos-Le Parisien). « Les consommateurs attendent des marques qu’elles aillent plus loin dans l’engagement, la responsabilité,  l’authenticité. C’est la même chose pour les médias et les régies, poursuit-elle. Il nous faut donc être attentifs aux contenus qu’on produit et aux formats, à la façon de les intégrer, en appliquant l’ambition d’excellence existant sur l’éditorial. » Cette ambition a notamment été confiée depuis septembre 2017 à Studio Imagine, placé au cœur de l’organisation mise en place par Corinne Mrejen, et qui s’illustre par exemple dans le dispositif développé autour du thème de l’intelligence artificielle, « IA for Business ». À côté des dossiers, des conférences, des newsletters, des learning expeditions à l’étranger, assurés par la rédaction des Echos, le studio développe du brand journalisme pour les marques avec des contenus éditorialisés.

« Nous créons des communautés qu’on sait engager sur des contenus exclusifs, dans les sports, les séries, l’humour. Il fallait faire la même chose pour accompagner les marques », rebondit Anne-Sophie Nectoux, directrice générale adjointe de Canal Régie, chargée de Canal Brand Factory, une structure mise en place l’an dernier avec un studio de création, un planning stratégique et une équipe dédiée à la diversification. Et qui « s’appuie sur les talents du groupe (animateurs, auteurs, DA…), nos moyens de production et sur une capacité de diffusion en TV, digital, cinéma, print, voire en utilisant les forces de Vivendi comme Universal, Dailymotion ou Gameloft », revendique la responsable. Cette configuration se retrouve chez TF1 Live (ex-TF1 361), qui collabore avec les chaînes du groupe TF1 mais aussi MinuteBuzz, Studio71, MyTF1… jusqu’à La Seine musicale, salle de spectacle dont TF1 assure l’exploitation.

Mais innover ne se résume pas simplement à faire travailler ensemble les acquisitions ou développements d'un groupe. Ainsi, même si le groupe Figaro a dû apprendre à orchestrer CCM Benchmark, Viadeo, Social & Stories, Maisons du Voyage et Marco Vasco, « on s’est dit que la promesse avec les clients changeait, souligne Aurore Domont, présidente de Media.Figaro. Il fallait donc repenser notre relation avec les marques et donc avec la communication ». D’où la création de 14 Haussmann, conduite par une jeune recrue, Benjamin Lassale. Objectif : « construire un bon message, une opinion et la diffuser, en utilisant les experts que sont les journalistes, nos outils, la data… », explique cet ancien responsable de Vice Media France. « Avant, une régie produisait des contenus pour les marques. Maintenant, elle doit pouvoir produire des médias avec des attributs relationnels, pas seulement des attributs d’exposition. »

Une appellation trop réductrice

Pour ces structures, dont certaines commencent à trouver l’appellation de régie trop réductrice, la réponse aux annonceurs ne passe plus forcément par ses propres marques médias. « Quand Ganz travaille pour Procter & Gamble, l’agence propose de faire un consumer magazine et opère en marque blanche », illustre Virginie Lubot. Canal Brand Factory a, de son côté, produit des réalisations pour Allianz à l’international, qui n’ont pas été diffusées par les médias du groupe. « L’enjeu est d’arriver, même s'il n’y a pas de plan concernant nos médias, à rentrer dans la stratégie d’annonceurs », résume Anne-Sophie Nectoux.

Cette stratégie rapprocherait-elle les régies, voire les mettrait-elle en concurrence, avec les agences de publicité ou les agences médias ? « Personne n’a le monopole de la bonne idée », revendique Cécile Chambaudrie. Et selon les différents protagonistes, le nouveau positionnement n’empêche de toute façon pas de travailler avec ces agences. « Nous sommes dans le partenariat, argue la dirigeante de Mondadori. Il faut le faire en bonne intelligence, pour qu’elles deviennent même nos prescripteurs. » Chez Media.Figaro, Aurore Domont veut voir en 14 Haussmann « la création d’une autre activité au sein de la régie, qui s’intercale entre les différents métiers ». Tout en reconnaissant qu’« il faut réécrire l’histoire entre les médias, les agences médias et les agences de publicité ».

Reste que cette histoire se réécrit sous la pression croissante des géants Google et Facebook, qui avalent les parts de marché publicitaire (lire interview P.33) et obligent les régies à se réinventer. Car si la traditionnelle vente d’espaces publicitaires reste l’activité et la source de revenus principales (de 65 % à 80 % selon les responsables des organisations), au mieux, elle stagne, au pire, elle fond comme neige au soleil. « Un éditeur américain expliquait à l’automne dernier qu’on a deux maisons : une qui brûle, à sauver et une autre, toute neuve à construire », illustre Corinne Mrejen. « Cette nécessité s’est transformée en opportunité, et il n’est pas étonnant de voir que ce sont les médias de contenus comme la presse et la TV qui sont les plus dynamiques en ce domaine, analyse Virginie Mary, déléguée générale du SNPTV. Avant, le spot était dans un flux normal, il n’y avait pas besoin de l’encapsuler ; or, maintenant, il faut aller plus loin dans le contenu publicitaire. » 

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