Audiovisuel
Ancien chief research officer du groupe audiovisuel américain Turner, Howard Shimmel était l’un des invités du dernier Campus TF1 sur le thème de la data. Pour Stratégies, il revient aux côtés de Laurent Bliaut, DGA marketing et R&D chez TF1 Publicité, sur les mutations en cours dans la publicité télévisée.

Qu’est-ce qui a changé ces dernières années aux États-Unis dans la façon d’acheter le média télé ?

Howard Shimmel. Il y a eu plusieurs choses. D’abord, les groupes de médias traditionnels ont vu l’intérêt que le digital a créé sur le marché. Avec le digital, il devient possible de tout cibler, tout mesurer. Dans le même temps, l’audience de la télévision aux États-Unis a commencé à s’éroder à cause de Netflix. Il y avait donc une demande de changement, notamment la volonté d’arrêter de vendre la télévision selon des critères socio-démographiques et de passer à de l’audience [planning, en permettant par exemple un ciblage selon des données de consommation ou aspirationnelles, ndlr]. Dès l’instant où vos indicateurs baissent, vous avez besoin de nouvelles manières de créer de la valeur à partir de votre inventaire. C’est dans ce contexte que le marché a opéré cette mutation.

Qu’en est-il du marché français ?

Laurent Bliaut. Cela fait quelques années que la possibilité existe en France. C’est ce qu’à TF1 nous appelons le GRP data. Le ciblage socio-démographique a commencé dans les années 1960. Presque 60 ans après, nous avons les moyens de faire beaucoup d’autres choses. Mais l’industrie met un peu de temps à les adopter car cela perturbe les process. Il y a tout un système à reformater pour que ces ciblages autres que socio-démographiques puissent vraiment s’industrialiser. Nous sentons que ça décolle vraiment cette année : la moitié de nos 15 principaux clients utilisent pour certaines campagnes un ciblage en data. Nestlé nous a par exemple demandé de construire une cible sur les acheteurs de café en dosettes. Selon des tests que nous avons faits avec Marketing Scan, le GRP data permet un incrément de ventes de 5% de moyenne, soit 250 000 euros de chiffre d’affaires supplémentaire pour la marque, en ayant investi exactement la même chose. C’est plus qu’un succès d’estime, c’est parti.

Est-ce une première étape avant la télévision adressée ?

H.S. : Je pense qu’à terme les deux approches vont coexister. Dans certains cas, la télévision adressée peut ne pas faire sens, par exemple pour un annonceur qui veut toucher une cible assez large. Nous pouvons imaginer qu’un annonceur utilise le ciblage linéaire en télévision [targeted linear, en anglais] pour parler à certaines populations et la télévision adressée pour cibler certains micro-segments. Il y a une citation célèbre aux Etats-Unis qui dit en substance que si la première fois que vous entendez parler de Mercedes, c’est à l’âge de 35 ans, c’est trop tard. Pour les marques, l’enjeu est à la fois que réussir à engranger des ventes à court terme mais aussi de travailler sa valeur de marque à long terme. Un des dangers de la publicité adressée est d’avoir un ciblage trop restreint, de toucher des segments qui ont peu d’impact sur les ventes ou sur la valeur de marque. Les deux devraient pouvoir exister en parallèle.

L.B. : D’un côté, continueront d’exister des actions de communication qui privilégient une couverture rapide de populations assez importantes pour construire de l’image de marque, sur des médias comme l’affichage ou la télévision par exemple. A côté de ça, on aura des opérations d’activation, et la télévision adressée s’inscrit dans cette logique, comme le digital aujourd’hui. Il y aura une coexistence des deux, selon que l’annonceur cherche la construction d’image de marque ou l’activation.

Le ciblage ne risque-t-il pas de remettre en cause la fonction de mass media que joue la télévision ?

H.S. : Je n’aime pas le terme de mass media. Ce que les annonceurs veulent, c’est toucher beaucoup de personnes, parfois dans un temps assez restreint, avec efficacité. Si vous êtes un studio de cinéma, vous avez deux semaines pour faire connaître votre film au plus grand nombre de personnes possibles, de sorte que lorsque le film sort, vous avez le plus de spectateurs possibles en salles. Aucun autre média que la télévision n’a montré sa capacité à générer une couverture massive rapidement. Que ce soit le ciblage linéaire en télévision [targeted linear] ou la publicité adressée, cela ne veut pas dire que la télévision n’est plus un média de masse. La télévision garde sa capacité à générer de la puissance rapidement, avec beaucoup d’impact, comme l’a montré TF1 lors de la Coupe du monde de football.

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