Télévision
Transposition de la directive SMA, publicité adressée, réforme de la chronologie des médias... Le gouvernement se prépare à aborder la phase préparatoire de la prochaine loi sur l'audiovisuel, attendue pour 2019. État des lieux.

« Nous appelons de nos vœux un code de la communication » : en présentant ses vingt propositions visant à adapter la loi de 1986 à l’ère numérique, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel [CSA], Olivier Schrameck, a conclu, le 11 septembre, par ces mots, son appel à refondre en profondeur la législation sur l’audiovisuel. Le calendrier joue en ce sens. La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, devrait engager dans les prochains mois les travaux préparatoires à un projet de loi qui devrait aboutir « courant 2019 ». Ce sera l’occasion de réformer la gouvernance de l’audiovisuel public, d’étendre la redevance aux tablettes et aux smartphones et, surtout, d’adapter la directive européenne réformant les obligations des services de médias audiovisuels [SMA]. Revue des principales attentes des acteurs de l’audiovisuel.

  • Transposer la directive SMA

La présidente du Centre national du cinéma, Frédérique Bredin, s’est fait l’écho le 6 septembre des espérances que suscite cette transposition : « Elle prévoit un quota de 30 % d’oeuvres européennes sur les plateformes et que ce soit le pays de destination qui détermine la contribution financière à la création, pour le paiement de taxes ou les obligations de financement […] C’est une opportunité extraordinaire pour les programmes français. » Toutefois, le CSA recommande de faire des différences entre les géants du numérique. « Il s’agit d’élargir le champs d’application à l’ensemble des plateformes sans oublier qu’elles n’ont pas toutes les mêmes obligations car elles n’ont pas les mêmes pouvoirs, explique Nathalie Sonnac au CSA. L’important, c’est que des plateformes comme Netflix, qui s’apparente plus à un opérateur audiovisuel, puissent participer au financement de la création. En revanche, pour des plateformes de partage de vidéos, comme YouTube et Google, on ne leur demande pas de financer la création mais qu’elles participent à la régulation en luttant contre les discours de haine, l’atteinte à la dignité, voire – c’est une demande complémentaire – contre la discrimination hommes-femmes. » Après le vote de la directive sur le droit d’auteur et avant la mise en place éventuelle d’une taxe Gafa en Europe, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD), voit dans cette transposition une priorité : « Il faut qu’on puisse appliquer aux opérateurs internet les mêmes obligations qu’aux opérateurs TNT. »

  • Dépoussiérer la loi de 1986

Au-delà de la seule transposition, le projet de loi audiovisuelle pourrait être l’occasion d’opérer un dépoussiérage de la loi de 1986. Parmi les sujets pointés du doigt, les contraintes qui pèsent sur les éditeurs de télévision, comme l’interdiction de diffuser des films le mercredi soir et le samedi ou encore les règles régissant les relations entre producteurs et diffuseurs. « On a déjà perdu un temps précieux. Pendant que l'on se vantait de soutenir une production audiovisuelle artisanale et soi-disant plus créative, tous les grands pays industrialisés ont construit de grands groupes audiovisuels européens ou mondiaux (ITV, Disney, BBC…) qui intègrent avec succès les activités de production et de diffusion », s’emportait Nicolas de Tavernost, président du groupe M6 dans le JDD en février. C’est dans cette logique que le CSA souhaite « accompagner les négociations entre les producteurs et les diffuseurs quant à la maîtrise des droits d’exploitation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles » et notamment revoir les critères et le niveau des quotas de production indépendante. De leur côté, les radios demandent régulièrement un assouplissement des quotas de chansons d’expression francophone, une disposition déjà révisée en 2016 pour limiter la rotation des titres. Le CSA propose d’alléger et de simplifier ces règles « afin de réduire les asymétries » avec les plateformes de streaming. « Faisons déjà le bilan de ce qui a été fait », réagit Alexandre Lasch, directeur général du Snep. Pour Stéphane Martin, directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), il faut aussi se garder de toute « surtransposition » en accompagnant la transposition dans le droit français de la directive SMA de dispositions qui n’y sont pas liées.

  • Pour ou contre la publicité adressée

Depuis des mois, les principaux groupes de télévision demandent un allègement de leurs contraintes en matière de publicité. « Les acteurs mondiaux du web font à peu près ce qu’ils veulent et les Gafa moissonnent le marché de la publicité locale, alors que nous, chaînes de télévision qui soutenons le cinéma et la création française, nous sommes encore avec des boulets aux pieds », regrettait Gilles Pélisson, président du groupe TF1, dans Stratégies fin août (voir Stratégies n°1959). En ligne de mire, l’ouverture des secteurs interdits de publicité télévisée, à savoir la promotion dans la distribution, le cinéma et l’édition, ainsi que la publicité adressable, qui permet à une chaîne de faire varier ses écrans publicitaires selon le profil des téléspectateurs. Un an après la consultation publique lancée par le ministère de la Culture à l’été 2017, le dossier est au point mort. Face aux chaînes, la presse régionale, les afficheurs et les radios locales, qui craignent qu’une déréglementation en la matière ne déstabilise leur équilibre économique. « Préserver le financement des médias traditionnels en refusant l’assouplissement des règles publicitaires », arrive même à la deuxième place des 21 propositions du Syndicat interprofessionnel des radios et TV indépendantes. « Avec l’ensemble des régies du SNPTV, nous proposons qu’une période de test de deux ans soit mise en place », avance David Larramendy, directeur général de M6 Publicité. De son côté, le CSA propose la réalisation d’études d’impact et d’analyses.

  • Réviser la chronologie des médias

C’est le feuilleton du moment. Initialement prévue le 6 septembre, la signature de l’accord sur la réforme de la chronologie des médias, qui encadre en France le parcours d’une œuvre cinématographique, de sa sortie en salles à sa diffusion en télévision, a depuis été reportée plusieurs fois. En cause ? Un désaccord sur les accords liant Canal+ et Orange à la filière cinéma. Fixées en 2009, à une époque où Netflix et les Gafa n’avaient pas encore rebattu les cartes du paysage audiovisuel, les règles actuelles doivent être modernisées. Le projet soumis aux organisations professionnelles prévoit de raccourcir les différentes fenêtres d'exploitation des films, avec un parcours accéléré pour les films ayant fait moins de 100 000 entrées durant leurs quatre premières semaines en salle. La diffusion en VOD ou sur DVD serait par exemple avancée à trois mois, au lieu de quatre, pour les œuvres bénéficiant de cette dérogation (environ 68 % des films). Les fenêtres suivantes seraient toutes avancées : huit mois pour Canal+ et les chaînes payantes, avec une exclusivité ramenée à neuf mois, dix-sept mois pour les plateformes de vidéos sur abonnement (Netflix, Amazon...), quinze mois si elles sont « vertueuses » en soutenant la création. La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a prévenu : si les organisations professionnelles ne parviennent pas à un accord, elle reprendrait la main en l’intégrant dans la loi.

  • Redessiner l’audiovisuel public

En présentant son scénario d’anticipation, en juin dernier, Françoise Nyssen n’avait pas caché sa volonté de privilégier l’investissement dans des contenus plutôt que dans un mode de diffusion. « Mon ambition est de créer un média global à vocation universelle », disait-elle. D’où le choix de supprimer les canaux hertziens de France 4 et de France Ô en 2020 afin de réinvestir les économies réalisées dans des offres internet – pour les jeunes, la culture... - ou disséminés sur les autres chaînes généralistes. De même, les synergies et rapprochements engagés entre France 3 et France Bleu en régions visent à sortir de la logique de silos dans le service public. Reste maintenant à donner une cohérence organisationnelle à cet ensemble. La gouvernance de l’audiovisuel public va donc être revue afin d’enlever au CSA le pouvoir de nomination des présidents de chaînes. Ce ne sera pas un retour à une nomination par l’exécutif – époque Sarkozy – mais une désignation par le conseil d’administration des entreprises publiques, après avis des commissions des affaires culturelles de l’Assemblée et du Sénat. Le but affiché est de conforter l’indépendance de l’ensemble, même si l’exécutif entend bien remanier les modes de nominations au sein des conseils d’administration en laissant plus de place, par exemple, aux chefs d’entreprise ou aux personnalités européennes.

  • Adapter les dispositifs anti-concentration

La concentration n’étant pas du ressort de la législation européenne, le CSA appelle à « un débat » pour voir comment adapter les seuils anti-concentration au « monde polyvalent des multidiffusions », comme dit Olivier Schrameck, pour qui « les modalités de la concentration procèdent d’un environnement dépassé ». Mais le sujet étant éminemment politique, une prudence de Sioux est de mise. Le patron du CSA se contente donc de rappeler les termes du débat : « assurer la préservation du libéralisme et de méthodes adaptées à la diversité des acteurs concernés ». Décidé à une époque où seul le monde hertzien existait, cet éventuel toilettage des dispositifs anti-concentration ne manquera pas de susciter son lot de pressions, aussi bien sur les plafonds de couverture – comme les 150 millions d’habitants pour la radio – que pour les règles capitalistiques – comme la limite de 49 % dans les mains d’un même actionnaire d’une TV nationale ou la limitation à 20% pour les acteurs extra-européens. À ce sujet, Pascal Rogard, de la SACD, demande aussi une protection des catalogues audiovisuels et des salles de cinéma : « Imaginez le plus gros catalogue de Canal+ entre les mains des Chinois ou des Américains… »

Le CSA et la supra-régulation

Résolu à ne pas se laisser absorber par l’Arcep, le CSA espère un cadre régulateur plus souple adapté au numérique. Il demande au législateur de lui laisser le soin d’appliquer une loi recentrée sur les grands principes de la régulation et d’adapter les règles aux situations, en favorisant la conciliation. Il s’agit de « favoriser la co-régulation et la supra-régulation », autrement dit une concertation avec les acteurs sur les modalités de la régulation, au besoin via des chartes. Le CSA, dans cette optique, supervise « les dispositifs mis en place par les opérateurs eux-mêmes ». A ne pas confondre avec l’autorégulation…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.