Dossier Millennials
Le rendez-vous du JT de 20 heures n’existe pas pour eux. Les millennials consomment les médias à leur rythme, en fonction de leurs modes de vie. Démonstration avec le nouveau format Snapchat Shows et les podcasts.

Capter les audiences là où elles se trouvent : c’est le défi des médias aujourd'hui, qui savent bien que les 18-35 ans n’allument pas la télévision à heure fixe ni ne lisent la presse sur papier, ni même sur ordinateur. La nouvelle consommation d’information se fait sur smartphone, en format vertical et en mobilité. Depuis deux ans, plusieurs éditeurs se sont convertis à l’offre Discover de Snapchat, la plateforme qui fédère 60% des 15-34 ans. Le Monde, L’Équipe, Paris Match, des médias « old school », mais aussi Melty, Vice, Konbini ou encore Society ont sauté le pas. Entre avril et septembre 2018, le temps passé par les utilisateurs sur ce format a augmenté de 40% à la suite d'un changement de design. Depuis mi-novembre, les médias peuvent également s’insérer dans Shows, la version Snapchat des programmes télé, initiée aux États-Unis. «C’est un nouveau type de contenus premium pour la "gen cam", la génération appareil photo, expliquait Emmanuel Durand, directeur général de Snap France, lors de la présentation de l’offre le 19 novembre. Cela suppose de respecter une forme spécifique: 3 à 5 minutes maximum, montage rapide, motion design.»



Des programmes adaptés à leurs cibles

Comme sur Netflix, les abonnés ont la possibilité de suivre des saisons, de reprendre la lecture où ils s’étaient arrêtés ou de passer au contenu suivant avec la fonction «up next». Les premiers partenaires français des Shows ont développé des programmes adaptés à leur cible: fidèle à sa mission de service public, France Télévisions a créé une émission sur les discriminations, tandis que Melty a lancé Melty Break, le rendez-vous des «films à voir, séries à “binge watcher” et jeux vidéo à geeker pendant le week-end», résume Rémi Laforce, directeur des rédactions de Meltygroup. De son côté, Konbini y décline sa rubrique Konbini News, des sujets de fond sous une forme divertissante. «Le traitement donne envie d’aller lire le contenu comme les gros titres dans la presse», souligne Mathieu Marmouget, directeur général de Konbini. «La cible jeune ne regarde pas la télévision, il faut donc la toucher là où elle est. Contrairement à l’écriture télé, on ne prend pas le temps d’installer un sujet, on va droit au but», précise Dorothée Topin, responsable des partenariats plateformes sociales à France Télévisions.

«On dit souvent que les millennials ne consomment pas d’information. C'est le contraire, mais ils la consomment différemment, commente Jean-Christophe Malard, consultant chez Wellcom. Discovery a été un laboratoire pour aider les rédactions à compacter l’information.» «Et aussi pour recruter de nouveaux profils», précise Emmanuel Durand. «La temporalité a changé: avant, il fallait attendre la sortie du Monde pour connaître la composition du gouvernement; aujourd’hui, on configure les réseaux sociaux et le replay pour avoir l’information au rythme qu'on veut et selon les sujets qui nous intéressent. On est à l’ère de l’information personnalisée», souligne Julien Casiro de l’agence Braaxe.

 

Accros au format audio 

Informer les 18-35 ans, c’est aussi les suivre en mobilité, à travers le développement des podcasts, qui les accompagnent dans les transports, en faisant du sport... Léa, Lyonnaise de 28 ans, est devenue accro au format audio: «Je me suis fixée l’objectif de faire 10 kilomètres à pied par jour, j’ai donc toujours un programme dans les oreilles. J’écoute Transfert de Slate.fr, beaucoup de podcasts de Binge Audio comme Les couilles sur la table ou À bientôt de te revoir, 2 heures de perdues de Fréquence Moderne, et aussi Sérieusement ?! animé par Pablo Mira sur Deezer. » Des sujets de société, de l’humour, des critiques ciné, des histoires vraies : l’offre est variée et colle aux préoccupations de cette génération. Car ces médias ne diffèrent pas seulement par leurs formats mais aussi par le ton adopté et les sujets abordés.

Dans le sillage du mouvement #metoo, de nombreux médias se sont lancés sur les thèmes du genre, de la sexualité, des relations hommes-femmes… C’est le cas de Louie, un studio de podcasts créé par deux journalistes, Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski, qui se revendique comme féministe et progressiste. Ou du podcast La Poudre du studio Nouvelles Écoutes, des conversations entre la journaliste Lauren Bastide et des femmes inspirantes. « Il est impossible de s’adresser aux millennials sans être féministe et sans parler d’écologie », souligne Lola Voute, rédactrice en chef de Tapage, média pour les jeunes femmes de My Little Paris. Le site, dont 60% de l’audience a moins de 30 ans, a créé cette verticale avec l’ambition de rompre avec les clichés de la presse féminine.

« Le nom Tapage signifie faire du bruit, à la fois en donnant la parole à des artistes engagés et en abordant tous les sujets qui touchent les jeunes femmes (mode, beauté, culture, société). On veut déculpabiliser, montrer que la femme parfaite n’existe pas, célébrer l’individualité, tous les genres, tous les corps », explique Lola Voute. En gros, être comme une grande sœur pour des jeunes femmes qui ne se reconnaissent pas dans les magazines de leur mère. Pour les marques partenaires, c’est l’occasion de parler à cette génération anti-langue de bois, prête à se mobiliser pour un sujet qui lui tient à coeur mais tout autant à sanctionner un message trop marketing. C’est aussi une façon de toucher une population décidément fâchée avec le papier. « On a envisagé de lancer une version print mais ce n’est pas du tout une demande de notre communauté », souligne Lola Voute.

Pour autant, les médias traditionnels n’ont pas dit leur dernier mot comme le montre le lancement de Clique TV par le groupe Canal +, une vraie chaîne télé et pas un concept pour les réseaux sociaux. Un pari de l’animateur Mouloud Achour, convaincu que les médias en ligne sont trop dépendants des Gafa. Avec de la musique, de l’humour, du sport, du reportage, la programmation est pensée pour les 18-35 ans. Qui la regarderont certainement en replay sur leur portable.

1h38. C'est le temps que les 15-24 ans passent par jour devant un écran de smartphone, tablette ou ordinateur, selon NPA Conseil, soit dix minutes de plus que l’ensemble de la population.

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