Tribune
Dans les dîners en ville, au cœur des éditoriaux, dans les courriers des auditeurs ou des lecteurs, l’humour est un sujet de choix !

L’humour pique, décoiffe, désamorce, dénonce, détend, dérive, dérape, dépassionne, dézingue, déconne… J’en passe et des meilleurs… Mais pour autant, accordons-lui cette immense vertu de faire vivre pleinement et sainement l’espace démocratique. À quoi ressemblerait la vie publique et politique sans ces décortiqueurs de la langue de bois, sans ces acrobates du paradoxe, sans ces géniaux assembleurs de mots, d’images et de références dont le collage baroque et improbable fait sens tout à coup ? À quoi rimerait une société dans laquelle le second degré, la caricature et la satire, la farce, la vacherie ou le bon mot seraient bannis au profit de l’esprit de sérieux et de la mauvaise foi ? À quoi comparer un pays sans rire, ni sourire, où la liberté de s’exprimer serait un rêve et la liberté de se moquer, un crime ? Sans doute à un cimetière, pavé de bonnes intentions, ventilé par l’esprit de sérieux et la mauvaise foi, administrée par des moines soldats.

La tradition française de l’humour remonte à loin et se conjugue sur tous les tons, du Roman de Renart à Coluche, de Rabelais à Georges Brassens, d’Alfred Jarry à Raymond Devos, de Beaumarchais à Pierre Desproges. Il faut que cela dure et nous devons tous en être garants. Reconnaissons donc, une fois pour toutes, à ces bricoleurs de génie que sont les humoristes, un talent inouï et un courage infini pour croquer et restituer le quotidien, cette matière éminemment inflammable, mobile, protéiforme que le vent fou de l’actualité peut faire changer de cap en moins de 24 heures. Ils n’ont peur de rien ni de personne et c’est une chance. Abandonnons ces batailles idiotes sur le «politiquement correct» qui serait leur marque de fabrique.

Nous savons désormais que la fin de l’histoire n’est pas pour demain et que le consensus sur des valeurs communes minimales est difficile. Les humoristes nous le font savoir tous les jours et vouloir rétrécir leur champ d’expression ne changera rien à l’affaire. Faire rire, c’est aussi faire réfléchir, garder la bonne distance, respecter l’autre. Une nouvelle génération d’humoristes et d’humeuristes se déploie aujourd’hui en France et rencontre un public toujours plus nombreux. C’est une chance. Accompagnons-les, respectons-les et quand l’envie prend à l’un ou l’autre de les traiter comme des enfants inconséquents ou mal élevés souvenons-nous de ce dimanche du 10 janvier 2015 où nous étions des millions à manifester pour l’un des droits de l’homme le plus essentiel : la liberté de s’exprimer, liberté que Charlie Hebdo a si chèrement payée. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.