Programmatique
Après la phase de conquête et ses débordements, l’adtech commence à entrer dans l’âge de raison. Tandis que nombre d’initiatives misent sur la transparence et la brand safety, l’application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) suscite un début de consensus.

Après le temps des errements, puis celui des admonestations et des sanctions, l’adtech a-t-elle enfin mûri ? Les signes de changement se sont en tout cas multipliés. La poussée continue du label Digital Ad Trust (DAT), créé en 2017 par le SRI, l’Udecam, le Geste, l’UDA, l’ARPP et l’IAB France, témoigne de la volonté des annonceurs de soutenir une démarche qui leur semble prometteuse. Le 18 février, une quinzaine de grandes marques, au nombre desquelles BNP Paribas ou Citroën, se sont ainsi engagées à renforcer leurs investissements sur les sites ayant obtenu le label. Ils sont déjà 92 et représentent 47,3 millions de visiteurs uniques par mois. Havas Media a d’ailleurs pris appui sur ce label pour lancer deux produits spécifiques, dont une private marketplace (PMP). « Nous avons aussi lancé un indice de qualité propriétaire composite articulé autour de quatre indicateurs – visibilité, fake news, ciblage et impact –, afin de calibrer avec chacun de nos clients la qualité qu’il recherche », ajoute Laurent Broca, CEO de Havas Media.

L’intérêt croissant que suscite ce label DAT paraît logique pour la présidente du Syndicat des régies internet (SRI), Sylvia Tassan-Toffola : « Les annonceurs ont exprimé une défiance envers l’univers digital du fait d’un manque de transparence du marché. » Soulignant qu’il s’agit d’un « label très concret, un outil de responsabilisation des éditeurs et des régies vis-à-vis des annonceurs et des agences », elle souhaite qu’un tiers des impressions d’une campagne publicitaire numérique soit acheté sur des sites labellisés. Un tel investissement apporterait évidemment une bouffée d’air aux médias historiques et pourrait même porter à un score à deux chiffres leur contribution au marché numérique global.

Facebook au CESP

L’Union des annonceurs (UDA) a de son côté lancé le programme FAIRe, qui réunit 35 entreprises, soit plusieurs centaines de marques, à travers 15 engagements pour une communication plus responsable, avec le souci d’une diffusion maîtrisée, notamment en termes de brand safety. « Le but du programme FAIRe est que les marques donnent une impulsion pour augmenter la brand safety et la lutte contre les contenus illicites sur le numérique à travers des outils, explique Laura Boulet, directrice générale adjointe en charge des affaires publiques et du développement de l’UDA. Il incite les annonceurs à aborder ce point de façon contractuelle avec les agences média et les régies. »

Même s’ils trustent encore l’essentiel des investissements publicitaires digitaux, les géants numériques comme Google ou Facebook n’affichent plus la lointaine indifférence qui les caractérisait encore il y a peu. La firme de Mountain View a intégré le Centre d’études des supports de publicité (CESP) dès 2015, imitée par le réseau social en 2017. Une décision dont se félicite Valérie Morrisson, directrice générale du CESP : « Facebook est un membre actif de notre réflexion. Deux de ses représentants participent aux collèges internet et data et font également part de leur point de vue dans le cadre du groupe de réflexion sur la vidéo. » 

Tout n’est pas pour autant parfait. Fin 2016, le CESP a sollicité Facebook afin d’auditer ses metrics. Le réseau social lui a fait savoir que le Media Rating Council (MRC), l’organisme américain chargé de mesurer les audiences, s’en occupait déjà aux États-Unis et que reproduire le même exercice ailleurs n’avait guère d’utilité. Un retour que le CESP n’a pas jugé totalement satisfaisant : « Nous avons confiance dans le MRC, mais nous souhaitons pouvoir effectuer des compléments d’audit pour les aspects qui ne seraient pas couverts dans son rapport, précise Valérie Morrisson. Le MRC ne donne aucun détail sur sa méthode, il délivre simplement une accréditation. C’est une position frustrante, car les discussions n’ont pas avancé depuis 2017. » Les prochaines semaines devraient voir la situation évoluer. Une délégation du CESP aura alors accès au rapport international du MRC. « Nous avons été informés que c’était imminent, précise la directrice du CESP. Nous pourrons ensuite en faire une présentation à nos adhérents, qui devra au préalable être validée par Facebook et le MRC. »

Mettre fin à l’opacité

Sur le RGPD, le consensus entre l’adtech et la Commission nationale de l’informatique et des libertés reste encore à construire. Frédéric Olivennes, président de l’IAB France, s’interroge sur les mises en demeure du régulateur : « La géolocalisation mobile est-elle un sujet particulier dans la mise en œuvre du RGPD du fait que le téléphone portable puisse permettre de tracer très précisément les déplacements ? Le règlement ne définit pas un droit spécifique du mobile. Et la géolocalisation est un enjeu fondamental pour l’économie, tant celle des médias que celle des annonceurs. » Pour la CNIL, le problème réside cependant ailleurs. « Les internautes ignoraient l’existence d’acteurs transmettant leur profil géolocalisé à des annonceurs,- explique Clémence Scottez, cheffe du service des affaires économiques de la CNIL. L’utilisation des données restait opaque. Or cette opacité était incompatible avec la loi Informatique et libertés et encore plus avec le RGPD. » 

Consciente des incertitudes pesant sur les acteurs du secteur, la CNIL a précisé certains points clés. « Le Comité européen de la protection des données (CEPD) a établi en 2017 des lignes directrices qui statuent que le scroll n’est pas un acte positif de consentement pour accepter les cookies, indique ainsi Clémence Scottez. De même, n’est pas valable un bandeau qui indique que les cookies sont là pour améliorer l’expérience de l’utilisateur, avec la mention d’un lien vers les CGU ou une page de politique privacy qui ne permet aucun choix. Pour résumer, les modalités de recueil du consentement doivent remplir trois conditions : le consentement doit être spécifique à la finalité poursuivie, il doit être éclairé et il doit être un acte positif. » Au premier semestre, la CNIL va aussi revoir à la lumière du RGPD la recommandation « Cookies » émise en 2013 en tenant compte des approches adoptées par les équivalents de la Commission dans les autres pays européens. « Cette recommandation pourra peut-être être intégrée dans un référentiel plus global, cela reste à déterminer », précise Clémence Scottez.

Un système d’identification commun

Anticipant une restriction de l’usage des cookies, une vingtaine de médias français s’apprêtent à lancer un système d’identification commun. « Il n’y aura pas de partage de données entre les médias et on demandera très peu d’informations à l’inscription, mais cet identifiant sera pour chacun de ces médias une fondation à partir de laquelle créer une relation client pertinente, tant pour cibler la publicité que pour proposer les bons contenus », expliquait Bertrand Gié, le président du Geste, le 27 février dernier dans Les Échos.

Si toutes ces initiatives portées par différents acteurs vont sans doute sécuriser la bonne diffusion des messages et améliorer la protection des données des internautes, le secteur reste cependant sur le qui-vive. De nouveaux bouleversements ne sont en effet pas à exclure avec la révision en cours du règlement ePrivacy. « Elle pourrait remettre en cause les solutions qui sont adoptées aujourd’hui, redoute Laureline Frossard, responsable juridique de l’UDA. L’articulation entre ce règlement et le RGPD n’est pas encore tranchée. » L’application de ce nouveau règlement va-t-elle faire retomber le secteur dans les errements de ses débuts ? La réponse sera bientôt connue.

Avis d’experte 

« L’outil ne suffit pas, il faut aussi le configurer correctement »

Clémence Scottez cheffe du service des affaires économiques de la CNIL 

« Il existe aujourd’hui des degrés de maturité très différents sur le marché, mais il y a une prise de conscience, même si la marge de progression reste encore très importante. Les initiatives comme le Transparency and Consent Framework [normes proposées par l’IAB pour transmettre le consentement des internautes à travers l’écosystème adtech] sont encourageantes pour proposer des solutions praticables, mais elles ne sont pas pleinement satisfaisantes. La traçabilité de l’information à travers tous les acteurs reste à vérifier. Disposer de l’outil ne suffit pas, il faut aussi le configurer correctement, sinon la conformité avec le RGPD n’est pas assurée. Certains aspects techniques méritent d’être améliorés, comme l’expression des finalités. Il y a encore des efforts de transparence à réaliser. »

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