Dossier Innovation média
Journaux et magazines sont de plus en plus nombreux à déployer des moyens de production audiovisuels ambitieux. Objectif : séduire une audience toujours plus tentée par l’image animée et élargir leurs revenus publicitaires.

Et si l’avenir de la presse passait… par la vidéo ? Quotidiens et magazines ont, dans leur grande majorité, franchi le pas et proposent aussi à leurs lecteurs du contenu audiovisuel. Pour conserver une audience toujours plus volatile et friande de vidéos à partager sur les réseaux sociaux, la presse s’est dotée de moyens parfois très ambitieux pour produire ses propres programmes en phase avec les attentes de ses lecteurs-auditeurs. Des moyens que les groupes médias mettent aussi au service des annonceurs. « Le développement de la vidéo répond à trois défis majeurs pour les médias : la baisse de l’attention, le multitasking et le scepticisme vis-à-vis des médias, analyse Jérémy Bréot, directeur général adjoint de l'agence Vizeum (Dentsu Aegis Network). Ce décrochage est particulièrement vrai chez les plus jeunes. » La consommation audiovisuelle des 18-24 ans passe effectivement de moins en moins par le téléviseur. « Pour diffuser de l’information auprès des jeunes, les médias écrits sont obligés de proposer des programmes courts et interactifs », ajoute Jérémy Bréot.

Si les quotidiens et les hebdomadaires produisent des journaux audiovisuels et des débats d’actualité depuis qu’internet s’est imposé comme média incontournable à l’heure du mobile, les médias écrits se mettent aujourd’hui au reportage, aux émissions pratiques ou de divertissement, voire à la fiction. Bref, à l’ensemble des programmes qui ont fait le succès de la télévision. « Notre ambition est désormais de donner autant à voir qu’à lire », revendique Pascale Socquet, directrice exécutive des pôles femmes et TV-entertainment de Prisma Media. « 40 % à 70 % de nos news sont illustrées [par des vidéos], détaille-t-elle, et nous allons accélérer. » Pour atteindre cet objectif, le groupe a déployé les grands moyens : sept studios de tournage, soit 400 m², ont été créés depuis 2017. Autant de plateaux qui servent de scène à « L’Appart » de Gala (live musicaux), au « Boudoir » de Femme Actuelle (conseils beauté, mode, cuisine), décoré par la créatrice de mode Chantal Thomass, ou à la « Scène Voici » (conçu dans l’esprit du café-théâtre). Chaque mois, le groupe diffuse 10 000 vidéos, pour un total de 350 millions de vues (250 millions sur les sites du groupe et 100 millions sur les plateformes).

De son côté, le groupe Reworld Media a rassemblé en 2017 ses activités de production au sein de l’Atelier B pour répondre aux besoins de ses rédactions, comme des annonceurs. Le studio tourne, entre autres, les tests d’Auto Moto ou les programmes vidéo de Maison & Travaux. De la même manière, So Press a créé fin 2016 son studio de production, AllSo, qui réalise les webséries décalées « En attendant Zico » ou « 4-4-2 » pour So Foot.

Privilégier la puissance des sites

En se structurant ainsi, les groupes médias maîtrisent non seulement leurs productions propres mais aussi la diffusion des programmes vidéo… et les recettes publicitaires associées. Tous cherchent, en effet, à diffuser au maximum leurs programmes sur leurs propres sites. Ainsi Prisma Media privilégie la puissance de ses sites phares (17 millions de visiteurs uniques pour Télé Loisirs, 11 millions pour Femme Actuelle, 7 millions pour Voici) pour promouvoir ses vidéos plutôt que sur YouTube. « Ce n’est pas sur les plateformes vidéo que nous allons chercher de l’audience et notre chiffre d’affaires, décrypte Pascale Socquet. En diffusant sur nos sites, nous gardons 100 % des recettes… » Même constat chez Reworld Media (60 millions de vidéos vues depuis ses sites et 20 millions sur YouTube) : « À volume de stream égal, il y a un rapport de 1 à 8 entre notre rémunération via YouTube et les recettes que nous générons en direct », détaille Jérémy Parola, directeur des activités numériques.

Le véritable enjeu de la vidéo se joue désormais sur les mobiles et les réseaux sociaux. C’est pourquoi Prisma Média a lancé au premier trimestre 2018, Simone, « une chaîne au ton très particulier, plutôt féministe, et qui aborde tous les sujets qui touchent les femmes sans tabou », explique Pascale Socquet (lire notre article sur le Grand Prix Stratégies de l'innovation média pXX).

Les studios vidéo déployés par les groupes de presse servent aussi à promouvoir les marques de leurs annonceurs. Prisma, par exemple, ne se positionne plus seulement comme un simple studio de production. « Nous vendons à la fois du conseil stratégique, la production et la médiatisation des vidéos, détaille Pascale Socquet. Nous apportons de la valeur à des coûts très compétitifs, tout en développant une communauté de fans et une audience monétisée. » Chez Prisma, « la vidéo représente un quart de notre chiffre d’affaires digital, qui représente lui-même un quart du CA total », précise Pascale Socquet. Chez Reworld Media, la quasi-totalité des recettes proviennent de l’activité pour les marques : « Les vidéos réalisées en marque blanche pour le compte d’annonceurs représentent 90 % de la production et des revenus de l’Atelier B » (CA prévisionnel de 4 millions d'euros pour 2019), dévoile Jérémy Parola.

So Press a lui aussi regroupé il y a deux ans ses activités de production de contenus (films digitaux, mini-séries, contenus de marque…) au sein d’un studio dédié, Allso. Le groupe veut ainsi accélérer ses activités en brand content. « Cela fait près de dix ans que nous produisons du contenu pour les marques, déclarait à Stratégies Franck Annese lors de la création de AllSo. Nous voulons passer un cap et aller vers des productions plus élaborées, plus ambitieuses. L’idée est d’aller chercher des budgets plus élevés, tout en gardant ce côté artisanal de luxe qui nous caractérise. »

Générer adhésion et engagement

Certaines structures médias, comme Le Creative Studio de Condé Nast, 14Haussmann de Media.Figaro, Le Studio Next de Next Media Solutions (Altice), vont plus loin et se consacrent intégralement à la production publicitaire. Créé en 2018, Le Studio Next vient par exemple de lancer la saison 2 de Foundation (1,3 million de vues pour la saison 1), une série documentaire sur l’univers des start-up, en partenariat avec Allianz France. « Les marques viennent nous voir pour travailler leur discours de preuves, pour se confronter au réel tout en maîtrisant leur communication. Nous utilisons les codes qui allient immersion, témoignage, nouvelles écritures pour générer adhésion et engagement », explique Nicolas Delacroix, directeur du Studio Next. « Cela fait plusieurs années qu’Allianz France s'intéresse au brand content, avec pour objectif de toucher des cibles plus jeunes. C’est aussi une réponse à la méfiance vis-à-vis des contenus classiques : 48 % des 18-24 ans utilisent des adblocks », rappelle Nathalie Lahmi, directrice marque et communication de l'assureur.

Rapport symbiotique

L'an dernier, la régie Media.Figaro a de son côté lancé 14Haussmann, une structure dédiée à la création de contenus de marque (vidéos, podcast, textes…). « Afin de ne pas faire partie des 75 % des marques qui pourraient disparaître pour les millennials, il faut créer de l'émotion », expliquait Benjamin Lassale, directeur général délégué brand content et brand publishing, lors du lancement. « Notre logique est de créer un lien éditorial fort avec les marques qui recherchent un contenu singulier », renchérit Sarah Herz, directrice du Creative Studio de Condé Nast France. Le groupe a par exemple réalisé à partir des archives de Vogue un film manifeste sur la créativité de Dior à l’occasion des 70 ans de la marque.

Reste que la limite entre information et communication semble de plus en plus ténue, certains studios médias n’hésitant pas à jouer sur l’ambiguïté. Le Creative Studio de Condé Nast affiche sans complexe son « rapport symbiotique » avec les marques : « Nous avons une relation très intime avec les marques. Nos rédacteurs en chef ne sont pas seulement des observateurs des tendances, ils sont aussi des influenceurs. » Chez 14Haussmann aussi la complicité entre marques et journalistes est revendiquée : la stratégie de contenu s'appuie sur 500 journalistes experts de leurs secteurs, « véritable moteur de planning stratégique ».

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