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Samuel Laurent, responsable de la rubrique «Les Décodeurs» du Monde, a épinglé la Commission européenne sur Twitter, en avril dernier pour «Les Décodeurs de l'Europe», dont il juge le nom et les codes trop proches. Anne Pigeon-Bormans, avocate spécialiste de la propriété intellectuelle, rappelle les règles du jeu en matière de contrefaçon.

Samuel Laurent, responsable de la célèbre rubrique du groupe Le Monde «Les Décodeurs», dédiée au fact-checking, hausse le ton sur Twitter, en avril dernier. Le journaliste dénonce la création d’un dispositif de fact-checking par la Commission européenne à travers «Les Décodeurs de l’Europe». «Je vais quand même le dire : cette initiative nous consterne. Pas seulement à cause de l'emprunt" (sans rien demander) de notre nom, mais surtout parce que ce n'est pas le rôle des communicants de copier les codes journalistiques.», tweete-t-il. Ce site contre la désinformation sur l’Europe a été lancé en décembre 2016 par la Représentation en France de la Commission européenne. L’institution se veut ludique et  éducative en cassant les idées reçues sur l’Union européenne, sous la forme de contenus vidéos courts. Parmi eux, une vidéo sur la lutte de l’Europe contre l’évasion fiscale

Stratégies a contacté Isabelle Jégouzo, cheffe de la Représentation de la Commission européenne en France, par téléphone. «Nous ne sommes pas dans une logique de fact-checking, et nous sommes ravis de constater que de nombreuses rédactions (TF1, France 2, France 24, etc.) aient récemment constitué des pools de fact-checking. Les journalistes font leur travail, et beaucoup nous ont par ailleurs remercié de mettre ces éléments factuels à leur disposition. Nous remplissons simplement notre devoir envers les citoyens européens en luttant contre la désinformation. En effet, avec les élections en mai, l'UE a été au cœur du débat. On a rapidement constaté de nombreux florilèges d’idées fausses alimentant toutes sortes de rumeurs et fantasmes sur l'UE… La vocation du site web des "décodeurs de l’Europe" est de donner des clés aux citoyens, d'expliquer ce qui constitue la réalité, et parfois la complexité des politiques européennes.»

L’institution et le média sont-ils entrés en contact ? «Au moment de la création des Décodeurs en décembre 2016, il y a maintenant plus de deux ans, nous avions contacté les “Décodeurs du Monde” et eût des échanges constructifs. C'est pourquoi nous n'avons pas compris cette réaction lors du lancement du site web en mars dernier», ajoute-t-elle

Pourtant Samuel Laurent, interviewé par Stratégies, dénie tout contact. «La Représentation de la Commission européenne n’est jamais entrée en contact avec moi. La rédaction avait reçu son communiqué et son invitation presse les 1er et 14 décembres 2016. C’est à ce moment-là que ma direction et moi-même l’avons contactée par e-mail, pour lui faire part de notre contestation. Ils auraient pu changer de nom avant que leur format ne commence à devenir plus connu que les précédentes années. Aujourd’hui, on se retrouve avec des internautes qui vont jusqu’à confondre parfois nos vidéos et les leurs.

Au-delà du désaccord sur le wording, le responsable de la rubrique est persuadé d’une chose : «La Commission européenne qui est une institution critiquée, bénéficie de la réputation qu’a réussi à se créer «Les Décodeurs du Monde» et utilise nos codes visuels et nos codes d’écritures.»

Que dit la loi ?

S’inspirer de ses concurrents sans tomber dans la «contrefaçon» (le terme juridique pour le plagiat) est possible. Mais en prenant garde de «ne pas créer une confusion sur le marché et de pas détourner la clientèle », soulève Anne Pigeon Bormans, avocate spécialiste de la propriété intellectuelle. «Il y a un principe général qui est la liberté du commerce et d’industrie et puis il y a le respect des droits privatifs. En jurisprudence, on doit se référer à deux notions, la bonne foi dans les affaires et la loyauté

Si la règlementation en matière de brevet protège les innovations développées, une subtilité est à prendre en considération : l’évolution de la marque déposée. La publication au bulletin officiel du dépôt de la propriété industrielle (Inpi) pour la marque «Les Décodeurs» du Monde en est d’ailleurs un parfait exemple. «Ici, on parle de marque semi-configurative, puisque Le Monde est stylisé et que « Les Décodeurs » a été écrit à partir d’un lettrage en bâton noir. Or la marque a évolué depuis et présente moins de chance d’être protégée de toute déclinaison.» Le dépôt d’une marque verbale est donc à privilégier. 

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