Dossier Parité
La Coupe du monde féminine de football a propulsé les femmes au firmament de l’audience, mais leur présence globale à l’antenne reste minorée. En attendant la parité, elles libèrent leur parole sur les nouveaux médias.

Un record d’audience. Avec 10,7 millions de téléspectateurs, le quart de finale de la Coupe du monde féminine de football États-Unis-France, le 28 juin, a offert au groupe TF1 son meilleur résultat de l’année. Si l’on ajoute le million de fans comptabilisés sur Canal+ lors de la diffusion de la rencontre, les filles de l’équipe de France ont crevé tous les plafonds. « Il y aura un avant et un après Coupe du monde », observe François Pellissier, directeur général de TF1 Publicité et directeur des sports du groupe TF1. « En tant que leader, on se doit d’être présent sur ces sujets, dans tous les genres de programmes, comme la fiction avec Jacqueline Sauvage ou Les Bracelets rouges. Cela fait partie de notre rôle, on est là pour créer du lien social, c’est la télé à laquelle on croit », relève le dirigeant. « Les femmes à 10 millions [de téléspectateurs] quand les hommes se retrouvaient quelques jours plus tôt à jouer contre l’Andorre dans les conditions habituellement réservées aux femmes, avec une pelouse en mauvais état, des tribunes dégarnies et une audience de 5 millions, c’est drôle », savoure Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora, une association qui regroupe 200 acteurs de l’économie du sport.

Céline Mas, directrice générale du cabinet d’études Occurrence et présidente, pour la France, d’ONU Femmes, qui vient de signer un partenariat avec la Fifa, salue elle aussi l’événement footballistique de l’année. « Il se passe quelque chose d’extraordinaire, on se rend compte que les femmes peuvent être dans des compétitions aussi passionnantes que celles des hommes. Mais il y a aussi ce que l’on fait de ces événements-là dans la société civile pour transformer la donne sur le terrain. Au Brésil, par exemple, nous avons organisé un grand tournoi féminin pour des femmes en recherche d’emploi, cela a permis de les socialiser et de faire venir des employeurs, en déclenchant une véritable campagne de recrutement à travers le sport », souligne-t-elle.

Objectifs chiffrés

Pour autant, foot ou pas, tous les voyants montrent aujourd’hui que les femmes restent encore sous-représentées à la télévision et à la radio comparativement à leur poids dans la société (52 % de la population française). Selon le dernier baromètre de la diversité du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il n’y avait que 39 % de femmes à l’antenne en télé et en radio en 2018. « La baisse d’un point observée l’an dernier est préoccupante. Cela démontre que sur la question centrale du droit des femmes, il ne faut pas relâcher les efforts et, surtout, il faut se fixer des objectifs chiffrés, sinon on ne parvient pas à s’inscrire dans une dynamique positive », avertit Carole Bienaimé-Besse, conseillère au CSA en charge de ces questions.

Des objectifs chiffrés, TF1 s’en est fixés. Le but est d’atteindre 50 % de femmes à l’antenne, quand elles n’occupent encore que 39 % de l’antenne de la chaîne, selon les derniers chiffres du CSA. Ce chiffre progresse grâce à des actions de sensibilisation. Ainsi, 120 journalistes et autres contributeurs à l’information de la chaîne (documentalistes, monteurs…) ont été formés. Des efforts ont aussi été faits pour identifier des « expertes », une catégorie où elles ne pèsent que 29 % sur la chaîne. Cette démarche, menée en collaboration avec La Montagne, Les Echos, Marie-Claire, Auféminin et l’AFP, vise notamment à fournir aux rédactions des listes clés en mains de femmes prêtes à prendre la parole sur tel ou tel sujet, afin que leur voix puisse aussi se faire entendre, par exemple, lors d’un événement comme l’incendie de Notre-Dame de Paris. « Notre directeur de l’information, Thierry Thuillier, passe des messages récurrents. Plus question d’avoir des plateaux uniquement masculins désormais. Et il s’est engagé à ce que, dans la part variable du salaire des patrons des différents départements de l’information, il y ait un critère lié à l’atteinte des objectifs de parité. C’est une incitation forte mais normale, car on a fait de cette question un axe stratégique », explique Catherine Puiseux, directrice de la RSE à TF1.

Liberté de ton

Se mettre en phase avec la société, voilà l’objectif des médias mainstream. Et celle-ci évolue avec une rapidité et une ampleur inédites. Il suffit de lorgner du côté des réseaux sociaux et des nouveaux médias pour s’apercevoir que la parole des femmes s’y déploie, avec une liberté de ton rarement atteinte. Le mouvement, entre autres précurseurs, a été lancé par la journaliste Lauren Bastide (lire notre interview p.XX), ancienne de Elle et de Canal+, qui a créé la société de production de podcasts Nouvelles écoutes. Son propre programme, La Poudre, a été conçu justement, dit-elle, « pour compenser la sous-représentation des femmes dans les médias ». Chez le concurrent Binge Audio, une autre journaliste, Victoire Tuaillon (lire notre portrait p.XX), interroge un jeudi sur deux dans Les couilles sur la table un aspect des « masculinités contemporaines » pour mieux déconstruire la domination des mâles. Citons aussi, à la Podcast Factory, Yesss, une émission de « warriors » centrée sur le sexisme ordinaire dans le sport, en soirée ou à la maternité. Ou encore, chez Nouvelles écoutes également, Quoi de meuf ?, « une conversation générationnelle et intersectionnelle sur la pop culture », qui donne notamment la parole à Kiyémis, une poétesse « afroféministe ».

Les réseaux sociaux, notamment Instagram, sont devenus à leur tour le réceptacle des nouvelles revendications féminines. L’un des comptes Instagram les plus populaires en ce domaine, avec 428 000 abonnés, s'appelle T’as joui, géré par la journaliste Dora Moutot. Elle y relaie notamment une pétition, déjà signée par des milliers de personnes, « pour un enseignement du clitoris dans tous les manuels de SVT ». La reconnaissance de cet organe, « source primaire du plaisir sexuel chez la femme, exactement comme l’est le pénis chez l’homme », permettrait ainsi de « sortir de ce schéma sexuel dans lequel les femmes sont en situation de passivité ou de simple réactivité », selon le texte de la pétition. Sur le compte lui-même, qui s’est donné pour mission de « libérer la parole et la jouissance des femmes », Dora Moutot lance des débats autour de la « féminité toxique » ou relève la montée de « l’éco-féminisme » autour de revendications communes autour du climat et, toujours, lui, du clitoris. On trouve aussi des comptes comme « Nous toutes », 40 000 abonnés, qui lutte contre « les violences sexistes ou sexuelles », « T’as pensé à », qui recueille des témoignages sur la charge mentale (69 000 abonnés), ou encore « Coup de sang » (101 000 abonnés), parce que « presque quarante ans de notre vie à saigner, ça mérite d’en discuter ».

La presse s'y met

On n’en est peut-être pas encore à évoquer, du moins aussi crûment, ces sujets-là aux heures de grande écoute sur la petite lucarne – un prime-time où, soit dit en passant, les femmes sont encore plus minorées, avec 29 % de filles à l'antenne entre 21 heures et 23 heures, contre 42 % en moyenne à la télévision, selon le CSA. Mais sur internet, des titres comme le HuffPost ou Slate n’ont pas hésité, déjà, à ouvrir leurs colonnes aux thèmes féministes. Même des groupes de presse établis s’y mettent. C’est le cas de Prisma Media, l’éditeur de titres aussi installés que Géo, Télé Loisirs, Voici ou Capital, qui a lancé il y a un an Simone, un média social destiné à un public jeune et décrit par son rédacteur en chef, Julien Lamury, également à la tête de Femme actuelle, comme « un média féminin, pop et engagé ». Entre une et trois vidéos sont diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux. « Au début, nous étions très axés sur le body positive, “comment j’assume mes poils et qui je suis”, le harcèlement de rue ou encore l’inégalité salariale. Nous nous sommes depuis ouverts à d’autres thématiques : la planète, le climat, les dégâts de la surconsommation d’avocats, les crèmes solaires vegan pour préserver les océans... », indique-t-il. Cette ligne, là aussi « clitoris et climat, même combat » en moins provocatrice, est en revanche tout aussi populaire. Simone rassemble ainsi sur Facebook, Instagram et Twitter plus de 300 000 abonnés.

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