Audiovisuel
Avec l’autorisation de la publicité segmentée et géolocalisée, la fin de l’interdiction de la promotion publicitaire des films à la télé et les nouvelles règles de diffusion des spots, le petit écran va voir affluer de nouvelles recettes.

Il s’agit d’un «projet global» qui comprendra tant dans sa partie réglementaire – présentée fin novembre en Conseil d’État - que dans son volet législatif, une réforme substantielle de la publicité télévisée. Le projet de loi sur l'audiovisuel, présenté au Conseil des ministres début novembre, devrait revoir de nombreuses règles de financement des chaînes et des acteurs de la création audiovisuelle. « Si on fait un projet de loi sur un secteur, c’est pour le secteur », a bien précisé le ministre de la Culture, Franck Riester, le 3 septembre. Les diffuseurs ne seront pas déçus. Le texte vise à mieux intégrer les plateformes mondiales au modèle français de la création (lire p. 10). Mais avant même le débat législatif, prévu dès janvier à l’Assemblée, une importante révision des règles publicitaires sera aussi mise en place. Elle entrera en vigueur dès le 1er janvier, après modification du décret sur la publicité de 1992. Revue de détails.



1/ Ouverture de la publicité segmentée et géolocalisée. 

C’était une revendication de longue date des chaînes : pouvoir diffuser des spots publicitaires différents selon que le téléspectateur se trouve à Lille ou à Marseille, comme cela se pratique déjà sur le replay. À l’heure de l’ultra-ciblage permis par le digital, la réforme du décret du 27 mars 1992 le rendrait possible à compter du 1er janvier, assorti d’une période d’observation d’un an. « C’est une ouverture définitive, pas une expérimentation. C’était nécessaire d’avoir une vision claire sur l’avenir compte tenu des investissements que cela implique », insiste Antoine Ganne, délégué général du Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV) en charge des affaires publiques.

Le projet de réforme du décret prévoit pour le moment de limiter la publicité segmentée à deux minutes par heure en moyenne quotidienne, six minutes par heure d’horloge. Et surtout, les spots géolocalisés ne pourront pas donner l’adresse des commerçants, afin d’en limiter l’impact sur les médias locaux, quotidiens régionaux en tête. « C’est le compromis que nous avons trouvé cet été avec le SNPTV, indique Alain Liberty, président du Sirti, le syndicat des radios indépendantes. Il faut accepter que le monde change. Google et Facebook sont devenus les premiers acteurs de la publicité locale, nous ne pouvons pas ignorer ça. Mais ce compromis permet à la télévision de ne pas rentrer dans le micro-local, ce qui protège la radio et la presse. »

Un avis que tous les médias locaux ne partagent pas. Jean-Michel Baylet, président de l’Alliance de la Presse d’Information Générale, a déjà fait part de sa « vive opposition » au projet : « Une telle mesure va porter une atteinte grave aux équilibres économiques des titres d’information politique et générale qu’elle représente et donc mettre en péril la pérennité de leur mission d’information, notamment au sein des territoires », écrit-il, à quelques mois des élections municipales. Il demande donc « une véritable concertation » pour réexaminer le dispositif. Une réclamation que l’on retrouve à l’Union de la publicité extérieure (UPE) où Stéphane Dottelonde, son président, se dit « très préoccupé » par ce projet qui accorde « beaucoup de largesses aux télés en matière publicitaire ». Selon le représentant des afficheurs, « il ne répond pas à l’objectif de transfert des recettes des Gafa vers les chaînes mais va prendre sur les revenus des autres médias historiques. Avec la presse, on a le sentiment d’être les dindons de la farce. »

Difficile de savoir ce que la publicité segmentée pourrait représenter à terme. Le SNPTV, qui cite des études du BCG et du cabinet Oliver Wyman, avance le chiffre de 500 millions d’euros par an à horizon de cinq ans, dont la moitié viendrait d’un redéploiement des budgets interne à la publicité TV. « À terme, nous estimons que la publicité adressée pourrait représenter entre 20 % et 30 % de notre inventaire publicitaire », a déclaré au Figaro Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6.

Depuis deux ans déjà, les chaînes multiplient les tests. Mais le déploiement à grande échelle de la publicité adressée nécessitera des investissements de la part des distributeurs et de nouveaux tests techniques. Sans compter que toutes les box ne sont aujourd’hui pas compatibles. Plus de 2 millions pourraient l’être au démarrage, en plus de la publicité segmentée via le satellite et les télés connectées (HBBTV). « La publicité segmentée est nécessaire pour l’avenir de la télévision mais c’est quelque chose dont les régies TV ne verront les bénéfices qu’à moyen terme. Il y aura une période de mise en place un peu longue », estime Antoine Ganne.



 2 / Autorisation de la publicité TV pour le cinéma

Avec l’édition et surtout les promotions de la distribution, le cinéma était l’un des derniers secteurs interdits de publicité à la TV, au nom de la préservation des films à petits budgets. La réforme du décret de 1992 ouvrira une période d’expérimentation de 18 mois sur le seul cinéma, tout en imposant des quotas à respecter : 50 % d’œuvres européennes, 50 % de films art et essai. Le ministre de la Culture, Franck Riester, l’a déjà indiqué : les chaînes devront adapter leurs tarifs pour permettre aux films à plus petits budgets d’y accéder. Reste à voir si les quotas s’appliqueront chaîne par chaîne, ou au niveau des groupes de télévision, en temps d’antenne ou en CA et si cette autorisation sera pérennisée au-delà des 18 mois.

« Si les conditions de mise en œuvre sont trop contraignantes à appliquer, il y a un risque à ce que certaines chaînes ne fassent pas de publicité pour le cinéma du tout. Cela devrait être précisé courant septembre », s’inquiète Antoine Ganne, du SNPTV. Selon le délégué général, plus que l’autorisation de la publicité pour le cinéma et la publicité segmentée, c’est surtout celle des opérations de promotion la distribution qui aurait permis à court terme l’injection de nouvelles ressources pour les régies des chaînes TV. Un pan que n’a pas souhaité ouvrir le ministre de peur de déstabiliser les autres médias. « 50 % du chiffre d’affaires publicitaire du média radio vient des promotions de la grande distribution, rappelle Alain Liberty, du Sirti. Plus que la publicité segmentée, le gros danger économique pour la radio était là. L’autoriser aurait été dévastateur. » Selon France Pub, le manque à gagner pour les médias historiques en cas d’autorisation des promotions de la distribution eut été de 118 à 264 millions d’euros d’ici 2022.

Pour Alain Weill, patron d’Altice Europe et de SFR, « cette interdiction n’a pas de sens quand un acteur comme Google peut le faire. C’est une croissance dont on se prive en France pour protéger des secteurs comme la presse qui détruisent des emplois. » Mais il y a aussi l’affichage qui pâtit de l’ouverture du cinéma à la pub TV. Stéphane Dottelonde, à l’UPE, rappelle que son média redistribue la moitié de ses 1,2 milliard de recettes à travers des taxes pour les collectivités, les régies transport ou les particuliers qui louent leur terrain.

Déjà, le SNPTV travaille le coup d’après en poussant la proposition faite par L’Union des marques d’autoriser la publicité calendaire de la distribution, à savoir les campagnes pour les fêtes de Noël, les soldes, le Black Friday. « Seuls 5 % à 10 % des campagnes de la distribution en presse et en radio sont des publicités calendaires. Dans ces médias, les campagnes de promotion portent beaucoup plus sur la mise en avant de tarif », avance Antoine Ganne, qui appelle de ses vœux l’ouverture d’une réflexion sur le sujet en 2020. « La publicité calendaire est suffisamment floue pour se révéler incontrôlable, s’emporte Alain Liberty, du Sirti. La publicité segmentée et les nombreuses autres dispositions annoncées par le ministre plaident en faveur de la télévision. Il est temps d’attendre ; voyons comment les chaînes tirent les bénéfices de ces mesures. »



3 / Suppression de la règle des 20 minutes de programmes entre deux coupures et autorisation de la publicité pour le télé-achat.

La réforme du décret de 1992 prévoit aussi de supprimer l’obligation pour les chaînes de diffuser au moins 20 minutes de programmes entre deux coupures publicitaires. « C’est une mesure de simplification positive, qui permet de donner plus de souplesse aux régies. Comme l’a rappelé le ministre, il ne s’agit pas d’augmenter le temps de publicité », insiste Antoine Ganne. « Il n’y aura pas d’augmentation du volume de la publicité à la télévision », a redit le ministre de la Culture, Franck Riester, en ouverture des Rencontres de l’Udecam, le 5 septembre. Pour les chaînes privées, la règle restera de 9 minutes de publicité maximum par heure en moyenne quotidienne, 12 minutes par heure d’horloge. Serait également autorisée la publicité pour le télé-achat.

 

4/ Autorisation d’une troisième coupure dans les œuvres de plus de 90 minutes et autorisation de la publicité pour les écrans partagés.

Si la grande majorité des mesures annoncées concernant la publicité sont introduites par une révision du décret de 1992, le projet de loi permettrait aux chaînes de faire une troisième coupure publicitaire dans les œuvres de plus de 90 minutes. Fin 2008, le Parlement avait déjà autorisé une deuxième coupure dans les fictions et films, avec pour obligation d’espacer les écrans publicitaires d’au moins 30 minutes, une règle qui ne changera pas au 1er janvier 2020. « L’introduction d’une troisième coupure permet de mieux exposer les œuvres longues », assure Antoine Ganne, du SNPTV. Enfin, le projet de loi prévoit d’autoriser les écrans partagés lors des rencontres sportives. Plutôt que d’interrompre par un écran publicitaire la retransmission d’une course, cycliste ou de F1 par exemple, les chaînes pourraient partager l’écran et diffuser à côté de l’événement des spots de pub, qui seraient comptabilisés dans le temps publicitaire du diffuseur.

 

Lire aussi : Une loi au service de l'audiovisuel

La taxe sur la publicité TV  et radio supprimée

La mesure avait été adoptée discrètement par le Parlement en novembre 2018. Son entrée en vigueur le 1er janvier 2020, en même temps que la révision du décret de 1992 sur la publicité télé, pourrait donner des arguments supplémentaires à ceux qui dénoncent des cadeaux faits aux chaînes. Chaque année, cette taxe sur la publicité télévisuelle et radiodiffusée, issue de la fusion de trois taxes frappant les messages publicitaires diffusés à la télévision et à la radio, rapportait à l’État 50 millions d’euros. Pour justifier sa suppression, le gouvernement avait invoqué un « objectif de simplification » et de « rationalisation du droit fiscal ».

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