Chronique

La parole libérée des femmes dans la publicité est un coup de pied dans l’entrejambe des gros lourds de service. Elle renvoie les comportements d’un autre âge au terminus des mâles alpha. Ils vont s’y bousculer les odieux, les Casanova de circonstance, les arrogants et les pervers qui ont érigé l’insulte et les propositions scabreuses comme qualité managériale. Ils vont avoir le temps d’y penser, de refaire le film pour tenter de comprendre d’où viennent les baffes qui vont pleuvoir de toutes parts.
Tout avait pourtant si bien commencé, au détour des années soixante-dix et de la libération sexuelle. La publicité triomphait et accompagnait les marques dans cet élan libératoire. Les planètes Mars et Vénus étaient alignées. La liberté – et son injonction – s’imposait dans la société, dans la réclame et dans les agences en pleine effervescence. À la pudeur corsetée des décennies précédentes succédait une ambiance débridée à laquelle chacun et surtout chacune était invité à participer. Tristus s’abstenir. Les mœurs libérées faisaient office de justification et de modernité. Bien sûr, comme Monsieur Jourdain, on harcelait sans même le savoir, mais il était convenu qu’il s’agissait de l’air du temps et de l’ordre éternel des choses. Les croisières tous frais payés et les week-ends d’agence à Marrakech étaient là pour ça. Les femmes n’avaient pas leur mot à dire. Consentantes ou non, la pression sociale leur enjoignait de subir, avec le sourire. Malgré tout cela, la publicité séduisait, distrayait et accompagnait l’insouciance de l’époque.

Collaborateurs humiliés et jeux pervers 

Au fil du temps, la compétition et le business se sont imposés dans cette industrie rayonnante. Ces ados mal dégrossis ont pris de l’âge et du bide. Ils se sont laissé envahir par l’esprit de sérieux. Finie la rigolade. Le vocabulaire ne ment pas : réunis en « War Room » pour définir les cibles à atteindre, ils ont mis en place des campagnes de conquête. Puis il a fallu s’imposer dans ce monde de winners où cohabitent vaille que vaille les ego les plus surdimensionnés.
Ils ont surjoué les enjeux, ils s’y sont crus ; au centre des regards, du monde et surtout de leurs pairs. Pour donner du poids à leurs convictions, dans un geste théâtral, ils ont jeté des cafés à travers les salles de réunion. Ils ont laissé les traces sur le mur pour alimenter le mythe. Ils ont humilié les collaborateurs, devant témoins, et pourquoi pas les clients au nom d’une supposée exigence et d’une intransigeance vertueuse. Puis on ne se refait pas. Ils ont continué les jeux pervers avec les femmes, bizuté les jeunes avec une imagination limitée au-dessous de la ceinture, placé des caméras dans les toilettes des filles, marchandé des embauches contre un service sexuel. Ils ont casté les stagiaires en fonction de la taille des bonnets. Les mâles alpha sont des guerriers qui, entre deux combats, cherchent le repos.

Un gâchis pour la profession

À se la raconter comme si chacun, de leurs trente secondes, allait changer la face du monde, ils se sont inventé une mythologie de pacotille, prétentieuse et arrogante. Ils ont enflé de suffisance en se la jouant rock star, n’en gardant que les excès, pour briller entre eux. Entre eux seuls, parce qu’en réalité, tout le monde s’en fout. À présent, les Français sont publiphobes. Belle réussite. Les jeunes regardent nos métiers avec distance et mépris. Le turn-over et les burn-out, non merci. Les talents vont voir ailleurs.

Quel gâchis qu’une minorité d’individus ait donné le « La » de cette profession ! Nous voici collectivement assimilés à de vils supplétifs de la violence libérale. Quel gâchis pour la très grande majorité de professionnels qui regarde cela avec consternation, quel gâchis pour tous ceux qui sont convaincus que nous faisons un métier formidable, joyeux et utile, où la mixité est une richesse. Les marques comptent sur les agences pour accompagner leurs propres mutations. Nous avons un rôle central à tenir dans cette transformation. Commençons par nous-mêmes. Aujourd’hui, la honte change de camp. La parole libérée aura, espérons-le, la vertu de dégonfler les baudruches et de remettre en cause l’éternel masculin.

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