Ici New York
L'une des puissantes figures du storytelling américain est, à rebours de la vieille Europe, celle d'un pays où les citoyens ne sont pas écrasés par l'impôt. Cette semaine dans sa chronique, Clarisse Lacarrau, planneur stratégique installée à New York, déconstruit ce mythe-là. Et rappelle au passage les vertus de l'impôt.

Quand on vit en France, le «on paye trop d’impôts» est au coeur des (médiocres) débats politiques et c'est l'un des marronniers préféré de la presse française à chaque rentrée. Et tout le monde se plaint et tout le monde fantasme (enfin, ceux qui «souffrent» qu’on leur prélève tant de leur pécule tant mérité) sur cette terre de marché libre et d’entrepreunariat qu’est l’Amérique. Et puis on arrive aux Etats-Unis, on s’installe et on entre dans le système... et on paye des impôts. À New York, ils peuvent être très élevés… jusqu’à 48%. Eh oui... 48%!

 

Et voilà que des décennies de storytelling fabriquant le libéralisme fantasmé par la droite française s’effondrent. Elles s’effondrent d’autant plus qu’elles permettent de se rendre sacrément compte à quoi sert l’impôt, car ici on en voit difficilement la couleur. Pas de sécurité sociale, d’accès à la santé; école publique payante; pas de DDE, peu de services publiques de la ville, routes, rues et trottoirs peu entretenus.

 

Je me suis amusée à aller interroger mes collègues en leur posant cette question simple: «Savez-vous où va tout cet argent?» Réponse: «Euh… Well, I don’t know but obviously not in school or health care!» En y réfléchissant ensemble, on a fini par trouver: dans la sécurité, la police, l‘armée et la surveillance. Tout là-dedans et pas grand chose pour le reste.

 

Alors, on comprend tout à coup mieux pourquoi les Américains se méfient du gouvernement, pourquoi ils sont - souvent, majoritairement - contre l’impôt ou l’Obama care. Quand on paye plus de 45% d’impôts et qu’on n'en voit jamais la couleur, que le médecin coute 150 dollars minimum et qu’il faut payer une assurance au moins 350 dollars par mois, et qu’en plus l’Amérique finit même par perdre toutes les guerres et envoyer sa jeunesse au front qui revient détraquée et paumée (quand elle revient), alors il est difficile de percevoir dans l’impôt autre chose qu’un rapt de l’Etat - pas un pot commun solidaire qui répartit la richesse et protège tout le monde.

 

Cela permet de porter un regard plus indulgent et d’enfin comprendre ce qui nous semble impensable pour nous Européens, attachés à notre système social. On découvre alors ce qu’est le «libertarian movement» (un mouvement politique basé sur l’autonomie et la quasidisparition de l’Etat, pas vraiment anarchiste mais pour lequel l’Etat porte toujours les intérêts de peu au détriment des intérêts de tous et donc de chacun) et on comprend aussi comment un Reagan en 1984 arrive à gagner une élection en ayant pour slogan ce qui semble être quasiment anticonstitutionnel pour les oreilles d’une Française comme moi «Government is not the solution to our problems, government is our problem».

 

Et comme à chaque découverte faite ici, le miroir américain opère et permet de porter un regard nouveau sur notre système à nous, sur nos peurs ou frustrations. Après ces conversations sur l’impôt avec mes amis yankees, je me suis dit qu’il fallait peut-être arrêter de râler ou de se laisser aller à de tels discours quand en France, on a encore la chance de toucher du doigt les effets de son impôt. Peut-être faudrait-il mettre des panneaux signalétiques sur tous ces avantages que l’on ne perçoit plus, pour finir par être fiers d’avoir encore un système comme celui-là.

 

En tous cas, je ne suis pas peu fière d’avoir mis le doute dans l’esprit de certains de mes amis américains qui, après nos conversations, se sont dit qu’il serait peut-être bon de reprendre possession de ce pot commun et de questionner le gouvernement de son utilisation. Au lieu de vouloir en payer toujours moins.

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