Ici New York
L'étoile de New York pâlit au profit de L.A. Pourquoi ce basculement est/ouest? Parce que NYC a été hacké par l'argent, repoussant jeunes, artistes et entrepreneurs de plus en plus loin, explique Clarisse Lacarrau, planneur stratégique installée... à New York - heureusement il y a l'avion!

Le vieux combat hip hop « East Coast VS West Coast » est en train de se jouer – et d’être gagné – sur tous les fronts entre New York et Los Angeles. Il y a dix ans, je me souviens avoir eu des conversations autour du sujet assez tendues, à coté desquelles un débat Paris/Marseille ressemblait à un doux moment au coin du feu entre vieux amis. À cette époque, aller dire à un New-Yorkais que vous partiez à L.A., c’était l’assurance de créer des moues de dégoût et d’incompréhension instantanée. L.A. était une ville de gens trop bronzés et superficiels, où il n’y avait rien à faire d’autre qu’à se pavaner en minishort et bikini au bord de la plage. Il était inenvisageable pour un New-Yorkais de penser à L.A. comme une alternative, un possible, un avenir. A New York la culture, la gastronomie, les artistes, la littérature, la pensée… la tenue, quoi ! À la rigueur, San Francisco pouvait encore être une option, riche de son passé hippie et pleine de ses couleurs européennes. Car en effet, en vivant à New York, on se rend compte que 1/ ça n’est pas l’Amérique mais plutôt le monde, ou une Amérique qui se rêve monde, et 2/ New York est tout de même tourné vers l’est, occupé à narguer la vieille Europe, presqu’au point d’en faire partie aussi (ce qui est aussi une qualité, entendons-nous bien !).

 

Mais l’Amérique bouge et change et c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’aime. Et Los Angeles accueille un exode new-yorkais tout nouveau. Pourquoi ? Parce que New York, en particulier Manhattan, a été hacké par l’argent et notamment celui des gens de la finance et de l’immobilier, ce qui pousse les artistes, les jeunes et les étudiants toujours plus loin. Même Brooklyn n’arrive pas à répondre à l’immense frustration de cette classe créative. Et sans artistes, ni oisifs, ni jeunes toute ville devient un peu… ennuyeuse et prévisible. Les accidents relationnels et créatifs sont rendus de moins en moins possibles dans une ville un peu enivrée par son efficience et la puissance de l’argent. Difficile d’imaginer Patti Smith et le loup de Wall Street boire des coups et monter des concerts sur le pouce. Et pourtant, New York offre tous les possibles en tout – des tonnes de concerts, d’expos, de bars, de restaurants, de festivals à plus ne savoir quoi en faire ; ce n’est pas du côté des activités qu’il faut regarder mais plutôt du mélange des genres et des gens. On va là où les gens qu’on connait vont, bien au chaud. Et Patti est bien sûre de ne jamais croiser le loup.

 

Pendant ce temps-là, L.A. a fait croire qu’elle se la coulait douce, pour endormir son monde. Et la voilà qui accueille chaque semaine des petits charters de New-Yorkais qui viennent chercher une vie moins chère, une vie plus douce mais surtout une vie pleine de possibles. L.A. a changé, elle accueille les start-up tech qui ont en marre des geeks sociopathes de S.F., les designers qui trouvent à Downtown les vibrations d’un New York des années 1980, les quinquas qui se rêvent surfers, les écrivains, les rois des nouveaux médias, l’industrie du jeu vidéo en train de bousculer les vieux du ciné, les nouveaux chefs et la nouvelle cuisine et surtout une sacrée tripotée de faiseurs, de « makers » à qui la ville oblige à faire pour de vrai (des expos, des habits, des idées, des livres, des films), le déplacement en ville empêchant toute forme d’engagement amical à la légère, annuler à la dernière minute étant le pire acte d’impolitesse, compte tenu du temps de voiture nécessaire à tout et n’importe quoi !

 

Comme le dit son maire Eric Garcetti, Los Angeles est une plateforme ouverte en open source qui laisse à chacun la possibilité de participer à son code et à sa matrice, un peu comme si la culture des « creative commons » avait trouvé sa ville. Mais le plus beau dans tout ça, ce n’est pas tant que L.A. aurait gagné, c’est plutôt que les deux côtés se parlent, que le « red eye flight » (le vol de nuit L.A. – NYC ne dure que 6 heures et fait de vous un lapin aux yeux rougis) est rempli à ras-bord et que les deux villes sont enfin complémentaires, au point de voir Moby, le cœur tiraillé, écrire dans The Guardian une plaidoirie à ses amis new-yorkais pour qu’ils viennent le rejoindre à Los Angeles. Tant qu’on peut avoir les deux, pourquoi se priver ?

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