Vous allez lire cet article. Ou peut-être pas. Tout dépend du temps que vous avez à y consacrer. Car nous n’avons pas tous le même rapport au temps (et je ne parle pas d’espérance de vie). Certains en manquent et d’autres en disposent davantage. Les uns vont chercher des solutions qui leur en font gagner, alors que les autres vont préférer celles qui leur en font dépenser.

 

Vous lirez donc cet article peut-être plus tard, à un «meilleur moment», en fonction de votre emploi du temps, car c'est de cette façon que chacun de nous arbitre désormais au quotidien, en prenant sur son repas, son travail ou son temps libre, voire son sommeil. Qui sait, la nuit et nos rêves seront peut-être un nouvel eldorado des marques et des médias! Au-delà de l’unité statistique de mesure médias, le temps, ou plutôt notre rapport au temps serait donc la clé de notre rapport aux médias.

 

En effet, suivre plusieurs choses à la fois devient un phénomène de société: je suis ici et ailleurs,  je suis avec toi (à table) et avec d’autres (au travail), je suis bien ici, mais de deux façons différentes, jouant encore avec le temps et l’espace. Dans ce multitasking permanent, la radio s’en sort très bien, sans doute car elle est moins gourmande en attention que la presse, média très exclusif (on ne peut pas faire grand chose d’autre en lisant cet article). De nouvelles questions se posent: faut-il développer des médias qui s’adressent à des sens moins exigeants que le regard? Des médias olfactifs, sensoriels ou gustatifs? Ou, à l’inverse, faut-il chercher, via des logiques transmédias, à engager tous les sens pour captiver l’attention?

 

Quelque 4,2 millions d’utilisateurs de catch-up TV [télévision de rattrapage] par jour pour une durée moyenne de 1h30: voilà sans doute le moyen que nous avons tous trouvé pour reprendre un peu le contrôle de notre temps. Faut-il en déduire que le salut des médias viendra de leur capacité à redonner aux gens du pouvoir sur leur temps? A l’instar des marques qui se battent pour nous redonner du pouvoir d’achat?

 

Toutes les tranches d’âge sont touchées, mais les «Millenials» [aussi appelés digital natives], eux, nous indiquent encore une fois la direction. Ils bougent très lentement et parlent extrêmement vite. Ralentir ou accélérer, c’est une façon pour eux de prendre le pouls du monde et surtout d’en prendre le contrôle, de distancer leurs aînés mais aussi de s’immerger dans l’instant («binge watching») voire de s’abandonner dans le digital (une loi passée à Taïwan régule la consommation numérique chez les jeunes).

 

Les villes ont bien compris ces phénomènes et font tout pour offrir du temps – à défaut d’espace – à leurs habitants: 4G dans le métro, bornes wifi et bientôt objets urbains connectés. En dix ans, les usagers des transports en commun sont presque 20% de moins à considérer le temps de transport comme du temps perdu. Gérés bientôt en open source comme des API [Application Programming Interfaces], les dispositifs DOOH [Digital out of Home] nous permettront de gagner du temps grâce à un service ou d’en dépenser en regardant un contenu. Au choix.

 

Buzzword du commerce, le ROPO [research online, purchase offline] et l’économie collaborative entretiennent le même rapport au temps. Le ROPO traduit notre volonté d’accorder du temps à ce qui a de la valeur pour que l’expérience soit la meilleure au meilleur moment. Du temps d’étude en ligne, du temps de plaisir en magasin. Il est fort à parier que de nombreux business models vont s’appuyer sur ces temps forts pour offrir à chacun l’endroit où son temps sera le mieux utilisé, le plus profitable.

 

De son coté, l’économie collaborative pose la question de la possession: pourquoi acheter ce truc qui ne prendra pas de valeur affective ou financière avec le temps? Et la fameuse dimension collaborative, que ce soit du point de vue de celui qui offre ou de celui qui reçoit, c’est aussi une histoire de temps. Avec Uber, j’optimise mon temps de travail (si je suis chauffeur à mes heures perdues) et mon temps de déplacement (si je suis passager perdu).

 

D’un coté, 77% des Européens déclarent avoir l’intention de ralentir leur rythme de vie, nous incitant à imaginer des slow médias (le fameux feu de cheminée de 8 heures à la télévision norvégienne) ou des médias longs, une façon de raconter des histoires ou l’actualité qui prend plus de temps avec de nouveaux formats, de nouveaux rythmes. De l’autre, ce sont casual games, tweets, likes, notifications, brêves, vidéos drôles…, qui électrisent nos vies de micro-moments de plaisir, sur des mobiles consultés en permanence, glissés dans les moindres interstices de nos journées. Vont-ils constituer l’alpha et l’omega des médias performants?

 

Dans cette course des contenus, les datas nous sont d’une aide incomparable car elles permettent de saisir tout plus vite. Que ce soit pour mettre à notre disposition les contenus que nous souhaitons au moment où nous en avons envie ou pour nous expliquer les situations les plus complexes en un clin d’œil grâce aux datavisualisations. Va-t-on vers des communications «dataviz» pour révéler des insights? Constitueront-elles les versions modernes des démonstrations produits «loréaliennes»?

 

Temps long, temps court, minisérie sur Vine ou série-reportage en plusieurs saisons, le rapport au temps ouvre le champ des possibles en matière de contenus. Voilà une belle opportunité pour les marques, habituées depuis longtemps à gérer les rythmes multiples de leurs produits, leurs services et leur relation client, et donc parfaitement légitimes pour imaginer ces nouveaux contenus adaptés aux temps modernes.

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