Mobilis in mobile
En matière de contenus sur internet, l'opposition la plus pertinente n'est peut-être pas entre gendarmes et voleurs mais entre «césaristes pragmatiques» et «idéalistes technophiles». C'est l'analyse de Stéphane Distinguin, président de Fabernovel, dans sa chronique cette semaine au regard de l'aventure Popcorn Time et de ses suites.

Internet mélange tout. On le sait : service et industrie, secteurs industriels entre eux, experts et néophytes, anciens et modernes, petits et grands. Pourtant, il semble que la partie que jouent les gendarmes contre les voleurs connaisse sa bonne vieille ligne de démarcation. Les voleurs de « contenus » (ce vilain mot qui permet de ne pas faire la différence entre le Caravage, Game of Thrones, la dernière pub ratée d’Air France et les 16 heures de vidéos de ski d'une Go Pro rivée au crâne de votre petit cousin) restent bien des voleurs. Mais comme le disait encore le week-end dernier Marc Andreessen – je le préfère nettement en philosophe qu’en homme politique –, le plus intéressant, ce n’est pas quand le bien et le mal s’opposent mais bien quand deux visions du bien se confrontent.

 

Plutôt que gendarme et voleur, Christophe Aguiton et Dominique Cardon, deux sociologues de nos sujets, parlent du match de notre siècle : « césaristes pragmatiques » VS « idéalistes technophiles ». Les premiers vous mettent la main sur l’épaule et vous disent « Avec moi, vous êtes dans le droit chemin, faites-moi confiance, donnez-moi votre numéro de carte bancaire et vos données, je m’occupe (bien) de tout et fais mes affaires du reste (sic) ». Les seconds imaginent qu’il existe encore une voie pour le progrès technologique, plus émancipateur, libre, comme les radios ou les logiciels peuvent l’être, égal (vous savez : « Future is already here ; it is just not evenly distributed »), de pair à pair pour ne pas dire fraternel. Voleur ou idéaliste, c’est selon, mais ça demande de la vocation.

 

L'année dernière, la valeureuse équipe à l’origine du formidable Popcorn Time avait décidé d’abandonner. Dans un post qui m’avait ému, plus comme un utilisateur que comme un ayant-droit je l’avoue, l’équipe à l’origine d’une des meilleures combinaisons de créativité, d’expérience utilisateur et de technologies de pointe du web, celle qui avait osé rendre visible et tellement facile quelque chose qui était simplement possible, sous la pression des gendarmes, baissait le rideau.

 

Qu’est-ce que Popcorn Time ? C’est entre autres une leçon d’ergonomie donnée depuis Buenos Aires à iTunes, Netflix, Amazon et tous ceux qui veulent nous faire regarder des vidéos à la demande sur des écrans. Le moteur, le protocole et le hic, c’est BitTorrent. Une technologie qui permet déjà à tellement d’entre vous (moi, bien sûr que non !) de télécharger en toute impunité technologique mais certainement pas légalement à peu près tous les contenus qui existent et vous intéressent. D’ailleurs, c’est cette même technologie qui permet à Facebook et à son armée de brillants développeurs de mettre à jour la plus grande plateforme de communication au monde, chaque semaine, avec des centaines de nouvelles fonctionnalités ou corrections.

 

La suite, on la connaît: Popcorn Time a défrayé la chronique, damé le pion à l'arrivée de Netflix en France et, s’il était encore nécessaire, pulvérisé la chronologie des médias (dans ce même billet, les créateurs rappellent que des films majeurs, i.e. pour plus de 18 ans, sont considérés comme nouveaux dans certains pays et protégés). Car si les fondateurs ont arrêté à temps et coulent – comme un BitTorrent – des jours heureux, ils ont en partant légué le code source de Popcorn Time sur une des plateformes les plus intéressantes du moment, Github, s'assurant ainsi de la reprise de leur projet et de son succès actuel. « Popcorn Time will never be taken done », c'est maintenant la promesse que fait cette communauté de développeurs. À chaque « shutdown » des gendarmes, telle l'hydre de Lerne, renaissent dix nouvelles versions des voleurs.

 

Mais j’ai envie, avant que la justice ne statue jamais, de les considérer plus comme des idéalistes que des voleurs… Un peu comme cette histoire fabuleuse de clés USB cachées en Corée du Nord. Libre et idéal, de quoi rabibocher art et web, gendarmes et voleurs. J'offre ma tournée générale de pop-corn.

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