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Vous avez déjà peut-être entendu parler de «flat design»… Mais il est moins certain que vous soyez familier avec la notion de «skeuomorphism». Pourtant, ces deux principes sont au cœur d'une guerre silencieuse qui fait rage dans le monde du design, une bataille de spécialistes qui concerne pourtant notre quotidien et notre manière d'interagir avec les écrans.

 

La fin du skeuomorphism

Le flat design s'est fait connaitre du grand public par la sortie de l’IOS 7 d’Apple. Il marque une refonte radicale du célèbre système d'exploitation pour mobiles et tablettes. Exit les textures de bois, la calculatrice librement inspirée de Dieter Rams1, le faux cuir et les ombres portées qui simulaient la profondeur. Le skeuomorphism de l’ère de Scott Forstall2 est remplacé par un design expressif, mais minimaliste. Il abandonne les imitations artificielles inspirées de la vraie vie au profit d'icônes et de pictogrammes résolument plus «plats».

 

Affordance

Ce changement est audacieux, mais en tant qu’UX designer, il y a de quoi être méfiant. Là où Apple voyait le minimalisme, on peut craindre la confusion potentielle. Là où l'on vendait la pureté, on peut ressentir un manque de profondeur. En design, il est souvent question d'affordance, cette capacité d’un objet à communiquer intuitivement son fonctionnement à l’utilisateur. Quand on voit une manette, on comprend instinctivement comment la prendre en main. Face à un bouton, on sait comment appuyer dessus. C’est un sujet qu'Apple maîtrise bien d’habitude. Mais les boutons sur IOS n’invitent plus intuitivement à appuyer dessus. La marque à la pomme suppose ici que l'on s'est habitué aux écrans mobiles et que les interactions peuvent être moins évidentes. Pour Jony Ive3 [Jonathan Ive, senior VP et responsable du design des produits Apple], c’est peut-être un moyen de rendre l’interface plus invisible. Les designers, cependant déplorent, la perte de textures, de profondeur et même de personnalité. Mais qui pourrait concurrencer Apple dans ce domaine? Sûrement pas Google, dont le système Android était marqué par une forme d'incohérence visuelle.

 

Google contre-attaque

Pourtant, la réponse de Google a été aussi surprenante qu'inattendue. L’an dernier, la firme dévoilait Material Design4, un langage visuel global sophistiqué, portant un coup direct à Apple. Avec Material, Google affirme que le design digital inspiré de la vraie vie (comme les feuilles de papier et les jeux de cartes) est toujours utile et qu'il faut même l’enrichir avec du mouvement et des transformations dynamiques. Dans Material, les éléments ont un poids: ils accélèrent et décélèrent de manière élégante quand ils bougent. Une touche sur un bouton les soulèvent, étendant et adoucissant leurs ombres. Les éléments de design peuvent bouger, se transformer, se diviser ou encore fusionner.

Cette vision si soigneusement construite est cependant en désaccord avec la diversité de l’écosystème Android. Ainsi, la dernière version du système d'exploitation de la marque, «Lollipop», n'est présente que dans 10% des appareils mobiles. A cela s’ajoute le fait que le fabricant n'offre pas toujours la version d'origine, mais une version déjà customisée. C’est justement la nature libre et ouverte de la plateforme qui est appréciée des utilisateurs, qui y voient une opposition à l’univers si strictement contrôlé d’Apple. Mais, avec Material, Google est plus proche de ce modèle fermé. Les défis sont donc multiples. Google doit assurer une adoption plus grande de Lollipop pour habituer les utilisateurs à l’esthétique de Material. L’expérience unifiée envisagée est impossible sans l’adhésion des applications qui doivent, elles aussi, respecter les nouvelles «guidelines». Google a la tâche difficile de gagner le cœur des développeurs et des designers tout en leur assurant que ce nouveau modèle laisse toujours place à la créativité.

 

Une question d’expérience

Cet équilibre n’est pas forcément difficile à trouver. Des applications renommées, comme Buzz Feed5 et Pocket6, ont déjà adopté la version Material. Elles ne suivent pas toutes les guidelines à la lettre – et se permettent même quelques libertés créatives –, mais l’expérience est très satisfaisante, même pour un utilisateur d’Iphone. La croisade de Google contre le skeuomorphism n'est pas un enjeu marginal. Qu’un bouton jette une ombre ou pas peut paraître insignifiant, mais c’est ce genre de détails qui affecte profondément l’expérience de l’utilisateur. Toute tentative d'améliorer ce point – de rendre les interfaces plus intuitives, plus cohérentes, plus esthétiques et plus fun – est un pas dans la bonne direction, vers une compréhension et une amélioration profonde des expériences de l'utilisateur.

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