Mobilis in mobile
Notre chroniqueur Stéphane Distinguin, président de Fabernovel, a assisté aux quatre journées de Futur en Seine, du 11 au 14 juin à Paris. De ce festival organisé par Cap Digital (pôle de compétitivité et de transformation numérique qu'il préside), il retient plusieurs points très positifs mais ce qui l'a le plus impressionné, explique-t-il, c'est la nouvelle alliance du numérique et de la biologie.

La beauté d’un festival, c’est d’y être «IRL» [In Real Life], et d’y faire des rencontres et des souvenirs. Certes, Coachella et Snapchat nous ont démontré cette année qu’un festival post-selfie, c’est beaucoup de jeunes filles en maillots et shorts très courts, et des hommes à barbe et tatouages. Mais un festival, c’est d’abord un moment pour réussir l’exploit d’à la fois prendre un instantané du meilleur et du plus actuel, et de dynamiser la diffusion d’un objet de culture populaire. Mobilis in mobile, une fois de plus.

 

Futur en Seine a fermé ses portes dimanche 14 juin au soir après quatre jours pleins de conférences, de démonstrations, d’happenings artistiques, de rencontres… Futur en Seine, depuis 2009, c’est le festival du numérique à Paris, gratuit, et c’est sa spécificité et sa gageure, il réunit professionnels et grand public, start-up de la FrenchTech et vénérables institutions, enfants et patrons du CAC 40, artistes et ministres. Ils seront au final entre 25 et 50 000 selon les organisateurs ou la police à être passés à Futur en Seine en 2015, entre la Gaîté lyrique, le Cnam et son musée, le Numa et quelques lieux partenaires comme la Paillasse, la Maison du bitcoin ou Player.

 

Avec Cap Digital, et grâce à Camille Pène, la directrice du festival, et Eric Scherer, son curateur, nous avions soigné le cycle de conférences cette année. Il y en avait pour tous les goûts et les communautés. Je ne choisirai pas une start-up, un prototype, un objet connecté: ce serait comme choisir une fleur dans un bouquet. Mais j’aimerais partager avec vous trois tendances qui m’ont sauté aux yeux.

 

D’abord, ça y est, nous sommes dans le grand bain et nous savons enfin nager. Tout le monde sait «pitcher», à force de conférences TED, de présentations sur des estrades et par la multitude de formats de soutien ou de promotion de l’entrepreneuriat. Et grâce à cette génération Erasmus, désormais les Français aussi savent présenter leurs idées, les défendre, et même en anglais.

 

La conférence sur la transformation numérique, «Too Big to Innovate», revers aujourd’hui bien plus gros que la médaille du «Too Big to Fail», a été l’occasion de se concentrer sur les grandes entreprises et leurs mutations en cours. Là encore surprise, la maturité est impressionnante, la maîtrise rassurante. Entendre Guillaume Pépy, de SNCF, Alexandre Bompard, de Fnac, ou même, de façon moins attendue Augustin de Romanet, d’ADP, dérouler leur plan, partager leurs enjeux et leur méthode prouve que le niveau est monté: au sein des entreprises, le numérique est devenu le sujet des patrons, qui en font des rêves et des cauchemars, et dans l’absolu, les constats sont clairs et les moyens commencent à suivre. Les «start-upeurs» étaient impressionnés.

 

Enfin, et c’est ce qui m’a le plus enthousiasmé, je l’avoue, le renouveau du numérique mute avec la biologie. Climat, environnement… mais aussi, et c’était le thème de cette année, l’humain. Et comme une mise en abyme, ce n’est pas tant l’humain dans le numérique mais le numérique dans l’humain qui m’a bouleversé. Le moment qui m’a marqué et fait réfléchir, c’est «l’implant party» organisée samedi soir.

 

Une implant party consiste à «augmenter» un humain en lui introduisant une puce, un émetteur plutôt rudimentaire encore pour l’instant, sous la peau. Dans un amphi d’une centaine de places, nous avons été dépassés par le succès avec près de 600 inscrits pour l’arrivée en France de ce phénomène qui a débuté en Suède. Des curieux, un peu voyeurs sans doute, dont je faisais partie, mais aussi des hackers, des pragmatiques, des fans du «quantified self», des maniaques du piercing…

 

Je peux donc témoigner que des centaines, et donc, extrapolons, demain des dizaines de milliers de personnes sont prêtes à se faire «augmenter», «upgrader», «renaître» comme disait Hannes Sjoblad, le leader de ce mouvement transhumaniste, jeune Suédois très propre sur lui et plutôt convaincant…

 

Awa, assise à côté de moi, a été la première «implantée». Convaincue que débloquer son smartphone en approchant sa main était déjà une raison suffisante pour compléter le travail que ses parents avaient initié une petite vingtaine d’années plus tôt. Mais pas folle, sur la main gauche, au cas où la manipulation accidenterait sa main droite. Et dans un bon anglais rodé aux séries et à la musique US.

 

Pop culture, je vous dis. Et pour une fois, comme le disait notre ami suédois, l’Europe va être en avance sur les usages. Qui aux Etats-Unis prendrait le risque d’une intervention chirurgicale inopinée et en public? «Croire au progrès ne signifie pas qu’un progrès ait déjà eu lieu» aurait dit Kafka... J’y étais.

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