Tribune
Matthieu Elkaim, directeur de la création, et Loïc Mercier, directeur de la stratégie de BBDO Paris, livrent leurs réflexions sur le Festival de la créativité, lieu de l'exigence créative et de l'efficacité, qui s'appuie sur un véritable joyau: l'idée.

Cannes. Enlevez tout le folklore qui entoure ce grand rassemblement, que reste-t-il? Ce qu’il y a de plus pur dans Cannes. De plus jouissif. Les idées. Putain, une belle idée. Une idée qu’on aurait aimé avoir trouvée. Une idée qu’on avait eue mais que l’on n’a pas eu le temps de produire. Pire, une idée que l’on a produite mais que la magie d’un cerveau de directeur artistique ou de réalisateur a poussé plus loin que vous dans un autre pays. Et parfois même un choc. Une idée pas juste créative, une idée neuve. Une idée dont on sent qu’elle fait progresser l’industrie entière.

Cannes est attaquable et a toujours été attaqué. Dans les années 1970, et encore plus dans les années 1980, le copinage des jurys, le tropisme anglo-saxon ou les campagnes dont on se demande bien comment elles ont pu être récompensées étaient déjà au cœur du débat cannois. Depuis, les ghosts, la multiplication exponentielle des catégories, les case studies parfois meilleurs que les campagnes elles-mêmes ou les Lions reposant sur des seules qualités technologiques ou artistiques sans idée neuve se sont ajoutés à la controverse.

Boosteur de motivation

Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est qu’à Cannes l’exigence est restée la même. 3% de chance de gagner un Lion dans chacune des catégories. 25% si vous êtes shortlisté. Autant qu’il y a 20 ans. Et c’est ce qui fait de Cannes un moteur. Comme la Coupe du monde l’est pour les footballeurs, les professionnels comme ceux qui la jouent en culotte courte dans la cour de leur maison.

Il n’y a rien de plus motivant que de repartir de Cannes. Repartez avec votre premier Lion, vous repartirez aussi avec l’envie démesurée d’en gagner un deuxième. Repartez avec beaucoup de Lions, et vous emporterez avec vous l’ambition de prouver à tous que vous êtes capable de le refaire. Repartez sans rien, et vous aurez compris l’exigence et l’audace qu’il faut avoir, le travail qu’il reste à fournir, le courage qu’il vous a manqué.

Le festival donne à tous les standards à atteindre sans être certain d’y arriver. Il nous donne des références communes, rappelle que tout est possible, qu’une contrainte peut être un beau terrain de jeu et qu’une marque jusqu’ici discrète peut s’imposer dans le paysage médiatique par la seule force d’une idée. Il donne aussi à ceux qui entrent dans le métier l’envie irrépressible d’en faire partie, et on préfèrera toujours qu’un jeune créatif s’inspire des «Live Test Series» de Volvo ou de la campagne Harvey Nichols que de la saga LCL.

Débauche d'énergie créative

Cannes est salvateur, il a un effet bénéfique durable et devrait, en France, être déclaré d’intérêt public. Car si notre pays se classe pratiquement perpétuellement dans le Top 8 des pays qui gagnent le plus de Lions, c’est plus le reflet de son économie que celui de la qualité globale de sa publicité. 95% des publicités françaises restent oubliables, parfois absconses, souvent irrespectueuses de l’intelligence des consommateurs et dans la mauvaise caricature.

Pour les agences, Cannes reste une référence, et un gros poste de dépense, oui. Mais de dépense d’énergie surtout. Celle de l’électricité d’un bureau éclairé tard la nuit, où un team s’escrime à  crafter une idée qui ne verra peut-être jamais le jour. Celle qui vous fait batailler pour trouver des solutions de production qui propulseront l’idée. Celle qui pousse l’exigence jusqu’à réécrire des dizaines de fois une phrase dans un brief. Il y a un moment magique à voir naître un Lion, à le voir séduire toutes les parties prenantes, de l’interne aux clients, et de le voir enthousiasmer les consommateurs.

Source d'inspiration

Alors bien évidemment, on ne peut pas nier que Cannes est aussi parfois une histoire d’ego. Mais le Festival de la créativité est aussi celui de l’efficacité. Une étude du très respecté Institute of Practitioners in Advertising (IPA) a démontré qu’une campagne primée était onze fois plus efficace qu’une campagne non primée. C’est probablement la preuve que même si à Cannes la profession se regarde le nombril, elle a dans le meilleur des cas commencé bien avant par regarder celui de la marque et ceux de ses consommateurs.

Aller à Cannes est enthousiasmant. Mais c’est en revenir qui est le plus jouissif. Et pour ceux qui n’ont pas la chance d’en revenir, vengez-vous. Regardez sur le site de Canneslions.com les vainqueurs avant d’analyser les shortlists la semaine suivante et de visionner les conférences les semaines d’après. Vous n’aurez pas vécu le folklore. Mais vous aurez vu l’essentiel, les idées.

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