Si Google était une personne, le diagnostic tomberait immédiatement: hyperactivité.

 

Google est intranquille. Symptôme de cette affection, sa marque qui ne cesse d’évoluer jusqu’à sa dernière version, présentée tout début septembre. Le résultat est simple, plutôt sans histoire. «Flat», comme il se doit, joyeux, direct comme une requête sur le moteur mondial. Certains trouveront le signe fade, mais il y a, dans cette recherche régulière de l’exact dessin, quelque chose d’attentif où l’on voit, non sans ironie, que de l’humanisme exprimé par l’art de la lettre au transhumanisme, la question du corps reste cruciale, surtout lorsqu’il s’agit de texte.

 

Google, filiale d’Alphabet, affiche donc un nouveau dessin et ajuste une fois de plus son logotype. Discrètement, insensiblement, il aura évolué six fois en seize ans. Cette dernière édition permet probablement à cette marque superlative d’inscrire un nouveau record à son actif, celui du plus grand nombre de changements dans un laps de temps aussi court.

Que semble nous dire cette intempérance ? Elle confirme et accompagne le mouvement de la mise à jour permanente.

 

Ce syndrome d’accélération, héritée des évolutions logicielles et des versions 2.0, 2.1, 2.12…, imprime une relation au monde fondée sur la redéfinition constante de repères. Le zapping généralisé s’impose comme une norme. Il se diffuse dans tous nos environnements et fait de la nouveauté un impératif du savoir-être. Nous sommes blasés, lassés de ce qui s’installe. Hypnotisés par les stimuli innombrables, notre rétine se sclérose et se désensibilise. Il lui en faut plus. Toujours plus.

 

Ces nouveaux référents conduisent les marques à la surenchère. La fréquence de leurs prises de parole, à la faveur des connexions permanentes via les réseaux sociaux, est quotidienne. L’identité visuelle, et particulièrement le logotype, jusqu’alors perçu comme un point fixe et pérenne, s’alignent sur ces nouveaux impératifs. Les marques renouvellent leur logotype emporté par les saisons qui passent. Elles changent de signe pour signifier le changement. Alors qu’au XXe siècle qui les a vu naître, l’espérance de vie minimale des systèmes identitaires étaient de dix à quinze ans, parfois cinquante, édifiés comme de solides remparts contre l’usure du temps, le XXIe scelle leur obsolescence accélérée.

 

Deux ans, trois ans... Il n’est plus rare de voir les entreprises se lasser trop vite de leur étendard sans un fait générateur significatif.

 

Le mouvement perpétuel s’oppose à la tempérance. Le plein s’oppose au rien. L’excès rime avec succès. Cette frénésie est souvent jubilatoire et créatrice. Elle fait de notre temps l’un des plus foisonnants, des plus inventifs et des plus audacieux. Elle nous garde en permanence sous tension mais nous prive d’une latence, d’une tranquillité, d’un ennui tout aussi fertiles. Nous avons, à notre insu, intériorisé l’idée de ne plus perdre de temps. Il nous en manque pour libérer de l’espace dans nos cerveaux disponibles. La paresse, la flânerie rejoignent peu à peu la catégorie des exotismes déviants.

 

L’événement permanent a pris le relais. Google en est un des acteurs. En tant que leader, il décrète des codes et fixe le tempo. Fortissimo et non pianissimo quanto possibile. Le silence est souvent perçu comme une incompétence. Il faut saturer l’espace médiatique pour maintenir coûte que coûte sa position. Les marques sont volubiles ou ne sont pas. Elles fuient le silence, alors que chacun sait qu’il est une part de l’architecture musicale comme le blanc structure la mise en page. La déferlante d’images, de mots, de sons produite par la Société des Marques témoigne d’une angoisse existentielle qui ne masque plus leur crainte de disparaître. Elles s’ensevelissent chaque jour davantage sous les avalanches de signes qu’elles accouchent. Surpopulation, surproduction, surchauffe.

 

L’hystérisation créative, si elle crée une esthétique et une culture nouvelles, redéfinit en profondeur la place et le rôle que tiennent les marqueurs clés d’un territoire. Dans ce combat de l’émergence, il faudra parler fort mais aussi parler juste. Et même parfois se taire pour faire le pari audacieux d’une révolution silencieuse.

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