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Quid de l’impertinence en publicité ? Prendre à rebours la langue de bois et la pensée convenue, échapper aux lieux communs, déconstruire les clichés… Place au non-conformisme dans l’écosystème publicitaire.

Merde alors! C’est plus facile de la pratiquer au quotidien, l’impertinence, que d’«analyser ce qu’est l’impertinence d’aujourd’hui» selon la demande qu’on m’a faite en tant que «jeune garde des agences». Normal. Ça devait arriver quand on est le fondateur d’une agence qui s’appelle Les Gros Mots, on s’expose à ce genre de demande…, mais surtout on en redemande.

La première impertinence de l’impertinence, c’est dans le dictionnaire qu’on la trouve: au départ «caractère de ce qui est déplacé, contraire à la raison, au bon sens», elle est devenue un terme utilisé pour décrire une «manière d’une personne assez osée, assez impudente pour se permettre telle chose». Le Littré nous informe qu’elle concerne «toute référence au sens commun, à la doxa qui donne à une société à une époque donnée un socle culturel commun. De ce fait, toute attitude non-conformiste, dès lors qu’elle choque le sens commun, peut être perçue comme une impertinence.»

Mais si l’impertinence produit la rupture, si l’impertinence est ce qui casse un processus de pensée, et par conséquent ce qui ouvre de nouvelles perspectives de sens, l’impertinence ne serait-elle logiquement pas une arme fatale du publicitaire? Et bien, foutre non, ou alors, comme dirait Coluche, «l’irrespect se perd». Mais où se perd-il donc, cet irrespect?

La vigilance contre la complaisance

Englouti par l’endormissement collectif de notre métier, enseveli sous les petites lâchetés («Ils vont nous embêter à l’ARPP»), sacrifié à force de dérobades («Le client veut pas»), enterré sous les fausses excuses qui tombent comme des vérités divines («Ce n’est pas juste d’un point de vue stratégique»), ou encore assommé par le mauvais planning stratégique qui accumule les cases à cocher dans les briefs comme autant de «tue l’amour». En bref, les mots impertinents sont en voie de disparition, du moins en France.

A force de s’engluer dans le politiquement correct, notre métier se meurt. On assiste à une crise rampante de désamour envers ce métier d’abord par ceux qui le font, crise de foi qui a entraîné logiquement le désamour de ceux qui le subissent. Les meilleurs élèves des grandes écoles ne veulent plus faire de publicité depuis longtemps… Un métier qui sert la soupe, évidemment, ça n’est pas très excitant quand on a vingt-deux ans. Et puis, il suffit de regarder une page de publicité à la télévision ou, pire encore, d’écouter un tunnel de pub radio pour vite comprendre que quelque chose est pourri dans le royaume de la publicité française

Alors oui, chez Les Gros Mots, on applique la célèbre sentence de Nietzsche «Encore un siècle de journalisme et tous les mots pueront» à la publicité pour se forcer à une extrême vigilance vis-à-vis de notre propre capacité à être complaisants… c’est tellement plus facile, tellement moins fatigant…

L’impertinence, c’est mettre en scène la défiance d’un client devant son garagiste car le sujet n’est pas le prix, avec ou sans chat blanc ou humoriste pseudo psy, le seul sujet est qu’aujourd’hui, les garagistes sont considérés comme des escrocs. Et que tant qu’on ne résoudra pas ce problème, aussi dur et direct soit-il, on aura l’impression de mal faire notre métier de publicitaire pour Speedy. 

L’impertinence, c’est se faire censurer par la tartufferie de la régie Métrobus parce qu’on ose faire dire aux jeunes, pour la campagne #PAS QUE de Citadium, «Nous sommes sans filtre», «Nous sommes au pabnier», «Nous sommes WTF». En 2016, on ne peut parler drogues, sexualité ou rapports avec la police en publicité que si l’on est l’INPES ['Institut national de prévention et d'éducation pour la santé]? Résultat, vive l’affichage sauvage qui échappe, ô hypocrisie suprême, à toute censure contre une amende forfaitaire prénégociée…

C’est aussi se faire convoquer des heures durant à l’ARPP [Autorité de régulation professionnelle de la publicité] parce que l’on a décidé de parler des vins du Val-de-Loire comme de gens qui ont un caractère particulier. Et on l’emporte, ruelle par ruelle, moulin par moulin, mot par mot. Merci le dictionnaire des vins, encore une histoire de dictionnaires…

Ou encore assumer l’image dégradée de Flunch chez les CSP+, et utiliser les mots normaux des gens, ces mots qu’on n’ose jamais dans la publicité: «Flunchez friqués, flunchez fauchés.»

Trouble dans le discours

Alors cette tribune est un cri du cœur qui en appelle à prendre à rebours la langue de bois et la pensée convenue, à échapper aux lieux communs, à déconstruire les clichés, à introduire le trouble dans le discours dominant. Soyons intempestifs, ne soyons pas à la mode, mais simples et honnêtes ! Sinon, il restera quoi à la publicité: le marketing? La tech? La data? Les GRP?

Tant qu'il sera pertinent d'être impertinent, tant que Nietzsche sera «d'actualité», tant que Nicole Ferroni fera 12 millions de vues en ne disant que la vérité, la vérité que personne ne dit…, nous continuerons à croire que les publicitaires français ne peuvent pas avoir totalement démissionné, aussi repus de notes de frais, de soirées-champagne gratuit et de week-end cadeaux soient-ils.

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