Souvenez-vous, il y a encore quelques années, le signe # n'était perçu que comme la touche dièse de votre clavier de téléphone. En 2009, Twitter a eu l'idée d'utiliser ce signe comme un marqueur permettant de lier ensemble tous les tweets contenant le signe # suivi d'un même mot ou d'une même suite de mots: le hashtag était né.

Les marques ont immédiatement mis ce nouvel outil au service de leur communication: lancement de nouveaux slogans (#makeitcount de Nike), fils de discussions sur leur produit (#shareacoke de Coca-Cola), mise en place de jeux-concours ou d’offres promotionnelles. Le hashtag est vite devenu incontournable.

Conscientes de la valeur économique que représente ce signe, les entreprises ont rapidement cherché à le protéger, en privilégiant d'emblée une protection par le droit des marques. Selon une étude réalisée par Thomson Reuters Compumark, 2 989 marques comportant le fameux # ont été déposées entre 2010 et 2015 au niveau mondial, et ce chiffre évolue considérablement. A ce jour, elles sont ainsi près de 700 rien qu'en France.

La protection par le droit des marques est-elle adaptée pour défendre ce signe?

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que peuvent constituer des marques valables des dénominations «sous toutes les formes»: juridiquement, rien ne s'oppose donc à ce qu'un hashtag puisse être enregistré à titre de marque, à condition qu'il remplisse toutes les autres conditions de validité d'une marque «classique».

Ainsi, la marque # doit être distinctive, c’est-à-dire permettre au consommateur d’identifier l’origine commerciale des produits et services, et de les distinguer de ceux offerts par une autre entreprise. Or, le principal obstacle est précisément que le # a pour fonction naturelle de transmettre un message et non de désigner l'origine commerciale de produits ou services. On peut donc s'attendre à ce que la marque # soit confrontée aux mêmes obstacles que connaissent les marques «slogans», fréquemment refusées à l’enregistrement au motif qu’un slogan sera uniquement perçu comme un message promotionnel. L'Office des marques de l'Union européenne a d'ailleurs récemment refusé à l'enregistrement la marque #whatwillyoucreate.

Pour échapper à un refus, les entreprises auront donc intérêt à ne déposer que les hashtags portant sur des mots ou des expressions arbitraires et qui, même s'ils ont une finalité promotionnelle, n'ont pas de rapport direct et immédiat avec les produits et services concernés.

Si la marque # passe le stade de l'enregistrement, son titulaire doit encore ensuite s'assurer de préserver ses droits sur celle-ci dans la durée. En effet, après cinq ans d'enregistrement, une marque devient vulnérable à une action en déchéance si elle n'a pas été exploitée. A cet égard, un usage sur les seuls réseaux sociaux sera vraisemblablement insuffisant. Les entreprises auront donc tout intérêt à apposer la marque # sur leurs produits, factures ou supports promotionnels.

Une marque # sera-t-elle efficace pour s'opposer à l'usage de signes identiques ou similaires par des tiers?

Là encore, les règles générales en matière de contrefaçon vont s'appliquer. En particulier, pour que la contrefaçon soit établie, il sera nécessaire de prouver que l'usage litigieux est réalisé «dans la vie des affaires», et à titre de marque, ce qui ne sera pas le cas si la marque # n'est pas utilisée à des fins commerciales ou si elle est simplement utilisée pour participer à une discussion ouverte sur les réseaux sociaux.  

Il n'est donc pas forcément utile, pour les entreprises, de s'engager dans une politique de dépôt systématique de tous les hashtags qu'elles utilisent, surtout lorsque le dépôt envisagé porte sur un signe déjà déposé à titre de marque, sans le #, ou encore des slogans éphémères. En revanche, si le hashtag utilisé représente en lui-même une valeur économique forte, parce qu'il désigne un nouveau produit ou service, une opération promotionnelle importante, il pourra alors être opportun d'envisager un dépôt de marque.

A noter qu’à défaut de protection par le droit des marques, il restera envisageable - en fonction des faits propres à chaque espèce - de tenter de s'opposer à l'usage de signes identiques ou similaires par des tiers sur d'autres fondements, tels que la contrefaçon de droit d'auteur, la concurrence déloyale ou le parasitisme.

Le hashtag aura donc fait une entrée retentissante sur le plan marketing, mais sans pour autant de réel bouleversement juridique. Les règles déjà existantes en matière de propriété intellectuelle continuent de s'adapter à l'arrivée de nouveaux «ovnis»: hier, noms de domaine et réseaux sociaux, aujourd'hui, hashtags. Et demain?

 

 

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