Cohabitent finalement deux idées de la communication, entendue ici comme l’expertise pour l’expression des dirigeants et des organisations (marques entreprises, marques institutionnelles) et aux dispositifs qui engagent les interactions avec leurs publics.

La première consiste à voir la communication comme la construction maîtrisée d’une représentation. Son objectif est d’imposer en dynamique un artefact: une image «idéale», ajustée, en regard des enjeux et des objectifs des acteurs «communicants». Cette définition publicitaire est tout à la fois la plus polémique et la plus fantasmée, puisqu’elle entretient une certaine haine à son égard (mensonge et manipulation étant son corollaire pour ses détracteurs). Dans le même temps, elle cultive son image sulfureuse comme levier de pouvoir et d’influence. En atteste, la mise en lumière ces dernières années (pas toujours à leur avantage) des spins doctors et autres influenceurs.

La seconde promeut la communication comme un exercice de vérité et d’ajustement au réel. Elle définit une exigence de parler «vrai», pour agir au plus près du «terrain» afin de corriger les écarts entre les acteurs. Cette lecture, qui s’oppose à la précédente, peut certes constituer in fine un pur argument rhétorique et la rejoindre. Si l’on fait abstraction de la dimension morale de cette approche (en écho au cynisme prêté à la précédente), elle nous ramène à une exigence première: la réduction optimale des distorsions informationnelles entre les différentes instances communicantes, notamment pour mieux partager les décisions.

Tension atemporelle

Mais si nous dépassons ce que ces deux définitions ont de caricatural, de cynique ou d’angélique, alors, on peut les considérer, sans les opposer, comme les deux pôles entre lesquels se construit la dialectique de toute stratégie de communication. Offrant une gamme complexe de nuances dans l’action, selon les situations. Cette polarité pouvant même être tenue de façon concomitante. Depuis Londres, de Gaulle tient un discours de vérité (cf. l’Appel du 18 juin), il «vend» aussi une représentation idéalisée de la France, en concurrence à une réalité plus complexe (la France n’est plus en France, mais à Londres, elle résiste, etc.).

Cette tension est atemporelle. Les ruptures, disruptions et autres transformations (terminologies en vogue) ne doivent pas nous faire perdre, comme centre d’intérêt, les invariants de nos métiers et peut-être de notre condition. Pour être puissamment à l’œuvre, elles ne changent pas cette donne. Le digital, au cœur de ce bouillonnement, est largement nourri par cette tension. Même si l’on peut dire qu’il la modernise en élargissant le champ des possibles, c’est-à-dire des interactions personnalisées, des données partagées, etc.

Artefact

Prenons un seul exemple. Le discours «vitrine» corporate ou institutionnel, descendant, tend à se rétracter pour favoriser une parole ascendante et foisonnante. La marque entreprise se veut trans-portée par le discours de l’usager, du consommateur-citoyen, etc. Cette dynamique est soutenue par les organisations elles-mêmes (entreprises, institutions), qui capitalisent sur une image coproduite sur les réseaux sociaux (par exemple) plutôt qu’imposée exclusivement d’en haut (l’adhésion s’avérant plus difficile à l’ère du soupçon généralisé).

Or, ne retrouve-t-on pas dans cette tendance le jeu dont nous parlions? Puisqu’au discours perçu ou redouté factice de l’entreprise ou de l’institution (cf. les études d’opinion sur la confiance, le discours RSE, etc.) est préféré un discours de «vérité» polymorphe porté par les usagers et les parties prenantes, qui vient légitimer et densifier le discours corporate. Alors même que ce pré-tendu discours de vérité est lui-même potentiellement et partiellement un artefact, puisque l’entreprise n’est pas neutre dans l’avènement de ces représentations et son jeu d’influence est réel pour que cette expression soit le plus possible maîtrisée.

Parole corporate assumée et décomplexée

Nous pouvons faire aussi le pari que dans cette dialectique reviendra, comme le refoulé, une parole corporate assumée et décomplexée. Parce que la confiance en une entreprise et sa dignité tiennent aussi, comme pour la parole politique, à sa capacité à projeter de l’avenir, et donc à son «autorité» intrinsèque, fondée sur sa vision, sa compétence, ses qualités et les preuves qu’elle en donne, en dehors ou plutôt a priori de tout acquiescement a posteriori.

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