Mobilis in mobile
Tant d’endroits qu’on aimerait visiter ne serait-ce qu’une fois. Et puis, chance, privilège ou âge, il existe des lieux qu’on visite souvent et qu’on a toujours l’impression de visiter pour la première fois. Shanghai est de ceux-là. C’est même le seul que je connaisse.

La Chine, c’est le pays de l’économie exponentielle, mais physique. Une loi de Moore qui s’applique partout. L’impression que TOUT double tous les 18 mois : la ville, le pouvoir d’achat, le nombre de magasins. Un pays dirigé par des ingénieurs, un pouvoir très centralisé, une économie de marché planifiée, une fièvre entrepreneuriale portée par l’émergence d’une classe moyenne bientôt milliardaire, là où le monde occidental voit la sienne se réduire.
J’ai certainement une vision très parcellaire, biaisée, de la Chine sans connaître son arrière-cuisine (ses provinces) mais en plusieurs visites, il me semble évident d’assister à un big bang.

Un monde parallèle

Bien sûr, la langue et les idéogrammes. Bien sûr, malgré H&M, Zara et Uniqlo partout, nos foules ne sont pas exactement les mêmes. Mais le meilleur symbole de nos différences réside pour moi dans notre cher internet. Je dis «notre» mais pour le coup, ce n’est pas le même. Ami voyageur,  un conseil: la visite de la Chine nécessite impérativement de se munir d’un VPN si tu veux rester dans ton environnement numérique : Google, Gmail, Facebook, Twitter, Snapchat, etc. En Chine, tu dois changer tes outils en passant la frontière. Absolument tous les services ont leur équivalent, Baidu pour Google, Alibaba pour Amazon, Weibo pour Twitter… mais surtout, Wechat est un internet à lui seul. Wechat a réussi ce que Facebook a raté, c'est un operating system à lui seul, les applications ont moins d’intérêt quand on peut tout faire (contact, transactions, paiements, etc.) au sein même de Wechat.

Base zéro

Vous connaissez certainement ce principe puissant qui pousse à réfléchir mieux qu’en dehors du cadre, en repartant de zéro. Mon collègue Patrice Nordey, le patron de notre bureau à Shanghai, me racontait récemment - et vous comprendrez tout de suite en comptant les e-mails non lus dans vos inbox ou, pire, comme moi le nombre d’heures que vous passez chaque jour à répondre à des e-mails - qu’en Chine, les individus n’ont pas tous une adresse e-mail, la population est passée directement aux messageries avec Wechat. Inbox 0 parce qu’en fait, 0 Inbox.

Sans tomber dans les généralités imbéciles, a fortiori pour le pays qui y résiste le mieux, il faut aussi rappeler que la culture chinoise aime le jeu, les paris. C’est sans doute une des raisons majeures pour lesquelles une économie ultracentralisée peut aussi facilement laisser la place à des initiatives individuelles et périlleuses. Le mélange est explosif : patriotisme voire protectionnisme, marchés colossaux, base zéro et appétence forte pour la prise de risques.

Les trois royaumes

Un des concepts qui revient le plus souvent en Chine, c’est celui des trois royaumes : Shu (蜀), Wu (吳) et Wei (魏). Une époque où l’Empire du Milieu était découpé en trois, qui fonde une bonne partie de la mythologie chinoise et de ses grands héros. Je tente de transposer cette figure à internet.
-Le premier royaume est féodal, césariste, c’est celui des Etats, des Gafa et de leur équivalent chinois, Alibaba, Tencent ou Baidu.
-Le deuxième royaume, celui de l’internet collaboratif, celui dont les deux meilleurs exemples seraient Wikipédia et Waze (surtout si ce dernier n’avait pas rejoint un grand seigneur féodal).
-Le troisième, c’est celui de l’underground, le «darknet» comme l'appellent ceux du premier royaume en espérant le circonscrire, alors qu’il n’est pas que la part sombre d’internet mais aussi ses racines et certainement une partie déterminante de son futur.
La Chine maîtrise le premier royaume en tant qu'Etat et fait jeu presque égal avec les Gafa, égal sans doute si on considère la capacité du pays à former des ingénieurs, des chercheurs, à faire revenir au pays les fameux ABC (Americans Born Chinese) pour en faire des entrepreneurs et des cadres internationaux de haut niveau. La Chine est la patrie du troisième. Pensez aux fermes World of Warcraft et plus récemment au bitcoin, dont le cours semble indexé au yuan.
C’est en Chine qu’on mine le plus de bitcoins, c’est aussi en Chine qu’on en échange le plus. Pour des raisons évidentes : transferts de liquidités, économies grises voire parallèles, énormes réserves chez tous les agents économiques. Rappelons également que la Chine est aussi le premier détenteur de la dette américaine et plus généralement de devises.
La Chine est, en revanche, absente du deuxième royaume, celui de l’internet ouvert et visible. Totalement. C’est un vrai sujet de réflexion pour les entrepreneurs du monde entier. A ce titre, je me pose des questions pour les start-up qui n’ont pas vocation à devenir comme Wechat ou Didi… vous reconnaîtrez qu’a priori elles seront nombreuses ! Et je parie que la Chine peut demain devenir la Silicon Valley des fintech, soit le premier hotspot de ces technologies et de cette industrie.

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