Tribune
La Coupe du monde de football en Russie a été l'occasion de mettre en lumière le piratage du signal de BeIN par la chaîne BeoutQ dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Une affaire qui ne peut être analysée en dehors du contexte politique local.

Le bilan audiovisuel de la Coupe du monde 2018 de football est contrasté. Au niveau français, les succès d’audience sont au rendez-vous chez BeIN Sports et TF1. Dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (zone MENA) en revanche, la situation est beaucoup plus préoccupante, du fait de l’apparition d’une nouvelle forme de piraterie audiovisuelle.

BeoutQ, une chaîne de télévision émettant par voie satellitaire cryptée (avec décodeur) en Arabie Saoudite, mais aussi à Bahreïn, Oman, en Égypte, en Tunisie et au Maroc, a diffusé les matches de la Coupe du monde en piratant le signal de BeIN, diffuseur officiel et exclusif de la compétition sur l’ensemble de la région MENA.

Concrètement, BeoutQ a rediffusé (d’où un léger différé de huit secondes) le signal de BeIN en superposant son propre logo sur celui de la chaîne qatari. Ce nouveau pirate diffuse aussi les programmes d’autres ayants droit comme Telemundo (droits de la Coupe du monde 2018), Eleven Sports (droits de la Champions League) et Formula One Management (droits de la Formule 1).

Dimension économique tragique

D’un point de vue juridique, la situation serait presque burlesque si elle n’impliquait pas une dimension économique tragique. BeoutQ, qui appartiendrait à un consortium cubano-colombien, a déclaré à la presse que son activité était «100% légale» en Arabie saoudite.

La visibilité, et donc la prospérité de BeoutQ, nécessite un accord avec un diffuseur satellitaire. Selon BeIN, BeoutQ serait diffusée par Arabsat, qui opère d’Arabie Saoudite, pays qui en est l’actionnaire principal. Cependant, Arabsat le conteste. Elle prétend que le client qui lui a acheté les capacités satellitaires utilisées (on parle d’un coût de plusieurs millions de dollars) aurait déclaré ne pas avoir de lien avec BeoutQ.

BeIN a des difficultés à faire valoir ses droits en Arabie Saoudite puisqu’étant persona non grata, elle a déclaré ne pas avoir trouvé de cabinets d’avocats locaux pour la représenter. Dans ces conditions, BeIN a entrepris des actions auprès de l’Organisation mondiale du commerce et de l’Organisation de la coopération islamique. Cependant, ces actions n’aboutiront que d’ici trois à cinq ans. D’ici là, le préjudice subi par le licencié comme le titulaire des droits sera très important.

Aucune action intentée

Les différents titulaires de droits (FIFA, FIA...) ont déclaré prendre l’affaire très au sérieux. Cependant, et à ce jour, aucune action ne semble avoir été intentée. Les autorités officielles d’Arabie Saoudite ont, de leur côté, nié leur implication dans ce dossier tout en prétendant explorer toutes les options pour mettre fin à ces actes de piraterie. Elles ont notamment mis en avant qu’elles avaient récemment confisqué 12 000 décodeurs pirates sur le marché saoudien.

L’affaire BeoutQ ne peut être analysée en dehors du contexte politique local. On rappellera qu’en juin 2017, l’Arabie Saoudite a rompu ses relations diplomatiques et économiques avec le Qatar du fait d’un présumé «soutien et financement d’organisations terroristes». Cette ostracisation s’applique aussi à la chaîne BeIN, instrument du rayonnement international du Qatar par le sport (le Qatar accueillera la Coupe du monde 2022). BeIN s’est en effet vu retirer ses licences de diffusion et interdire de vendre ses décodeurs en Arabie saoudite. Quelques mois plus tard, des décodeurs BeoutQ, fabriqués en Chine, apparaissaient dans la région pour un prix très faible par rapport à l’abonnement proposé par BeIN.

Le nom BeoutQ illustre bien l’objectif poursuivi, à savoir mettre le Qatar, propriétaire de BeIN, «out» et il est plus que probable que ce «out» soit celui de knock-out. Est-ce à dire que BeoutQ serait une arme politique? On connaît la distinction entre un pirate et un corsaire. Les deux volent, mais le pirate agit pour son propre compte alors que le corsaire agit pour le compte de son souverain. Dans tous les cas, BeoutQ porte en elle des germes de destruction massive.

Recettes réduites

Suite à ce piratage, BeIN a déclaré avoir perdu en Arabie Saoudite 17% de ses abonnés. Elle a été contrainte, pour réduire l’hémorragie, de diffuser gratuitement les 22 matchs des quatre équipes arabes participant à la Coupe du monde (Egypte, Maroc, Tunisie et Arabie saoudite) dans les pays concernés. Or, pour obtenir l’exclusivité de la diffusion, BeIN a pris des engagements financiers conséquents vis-à-vis de la FIFA. BeIN conserve donc les dépenses engagées, mais voit ses recettes profondément réduites.

Au-delà du préjudice subi par les diffuseurs ayant acquis des licences, ce nouveau type de piraterie porte un grave préjudice à l’économie du sport et aux organisateurs d’événements sportifs. Rappelons que la rémunération payée par les diffuseurs officiels au titulaire des droits est indispensable tant pour l’amélioration de l’organisation des événements sportifs que le financement de la filière sportive en général. En cas d’atteintes importantes et durables à leurs droits, les diffuseurs officiels se désintéresseront ou négocieront les droits à la baisse. En effet, quel serait l’intérêt de payer à prix d’or l’exclusivité d’une diffusion dans une région si on peut en toute impunité les diffuser gratuitement? De même pour les diffusions terrestres, pourquoi payer les droits dans votre pays si votre voisin ne les paye pas?

Une telle situation doit être prise extrêmement au sérieux et inviter à la création d’outils juridiques permettant une réaction immédiate en cas de piratage d’événements diffusés en direct que ce soit sur Internet, par satellite ou par voie terrestre.

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