Tribune
Ces dernières années, le modèle de consommation vidéo est passé du broadcast à une individualisation du média. Une mutation qui redéfinit les règles de la monétisation de l'audience.

Parmi les secteurs qui ont le plus évolué au cours de la dernière décennie, celui de la production audiovisuelle, dite broadcast, mérite un intérêt particulier. La période où la télévision était le mass média principal et où nous n’avions que six chaînes nationales paraît bien loin, surtout maintenant nous avons notre principal écran dans notre poche.

En 10 ans, certaines innovations technologiques ont permis de démultiplier les possibilités créatives, tout en réduisant les coûts de production: la montée en puissance des ordinateurs, qui ont progressivement envahi les baies techniques des chaînes de TV, la miniaturisation des équipements, le passage de la pellicule film au fichier informatique, et aujourd’hui les infrastructures dans le cloud.

En termes d’usage, la démocratisation des connexions à haut débit et l’amélioration de la compression vidéo a ouvert la voie à la délinéarisation de la diffusion. Nous pouvons désormais visionner du contenu à tout moment, grâce aux offres de rattrapage, aux plateformes de vidéo en ligne (Dailymotion, Youtube, Vimeo, Twitch) et aux offres SVOD/OTT (CANAL Play, OCS, Netflix, Amazon Prime). L’avènement du smartphone a accéléré cette transformation, permettant une consommation de contenu à la carte et ce n’importe où.

Visionnage interactif

Aujourd’hui, nous visionnons les contenus de manière interactive. Le spectateur choisit son programme quand il le souhaite et n’est plus dépendant d’une grille TV, souvent contraignante pour les jeunes générations. Le contrôle de la lecture (play/pause) et l’interaction avec la communauté en ligne (like/share) viennent moderniser encore plus l’expérience de visionnage.

La possibilité de diffusion sur le web induit un changement comportemental au niveau des professionnels comme du grand public: le cœur de ce changement est l’individualisation du média, également appelé selfcast, en opposition avec le traditionnel broadcast. Les technologies d’aujourd’hui permettent à chacun d’être son propre média, avec sa propre identité et sa propre audience.

Si les Youtubeurs sont à la fois auteurs/rédacteurs/producteurs/monteurs/éditeurs, le terme lui-même est devenu générique pour désigner ces nouveaux créateurs qui maîtrisent intégralement la chaîne de production de leurs contenus. Leur force réside dans la pertinence de leur message, proche des préoccupations quotidiennes, ainsi qu’un style plus libre et moins codifié. De plus, le format court tend à en faire un média de consommation simple et rapide.

Les chaînes sous pression

Le véritable enjeu pour cette nouvelle génération est la monétisation de l’audience. Pour les annonceurs, les Youtubeurs sont une aubaine: ceux dépassant la barrière des 100 000 abonnés peuvent devenir un média à part entière. Le positionnement de ces derniers permet d’avoir une approche très ciblée, et une alternative par rapport à la perception plus uniforme des programmes TV. La plupart des Youtubeurs mise sur un modèle de revenus à plusieurs étages via le pré-roll publicitaire, le placement de produits, et les programmes d’affiliation.

Cette mutation des usages met sous pression les chaînes TV traditionnelles, qui doivent trouver le moyen de composer avec cette nouvelle offre tout en préservant leur place. Cette pression est renforcée par l’installation récente des 32 chaînes nationales TNT, qui contribuent également à la dilution des budgets publicitaires. Face à cette fragmentation des audiences et à la diminution des revenus associés, les chaînes s’adaptent: elles ont fortement diminué leurs coûts d’exploitation, et agrègent les plateformes digitales à leurs émissions (typiquement l’interactivité des talk-shows via les réseaux sociaux). Leur point commun est de proposer une offre éditoriale sur le web pour se rapprocher des spectateurs les plus jeunes, qui peut aller jusqu’à la mise à disposition de leurs programmes phares sur des chaînes YouTube.

Cependant le revenu publicitaire associé est bien moindre que ce qui se pratique à l’antenne, laissant la question du modèle économique toujours ouverte. Ainsi, Canal+ a racheté en 2014 Studio Bagel, une chaîne YouTube à forte identité et qui compte près de 3 millions d’abonnés, mais investit également sur des productions plus ambitieuses comme des web-séries. Golden moustache est le fer de lance du contenu web de M6, avec 3 millions d’abonnés également. France Télévisions a fait le choix stratégique d’investir massivement dans le digital depuis quelques années: catch-up multi-plateformes, lancement de la nouvelle chaîne Franceinfo architecturée autour de la publication via l’application mobile.

Le on-demand est devenu la norme

Ici encore, le modèle économique de cette nouvelle offre est incertain, et ne permet pas de rivaliser avec les productions de sport, de fiction ou de documentaire qui nécessitent toujours un financement dédié des chaînes et des plateformes OTT. Cependant, un cap est passé : le format on-demand est devenu la norme et représentera la plus grande majorité du trafic internet ces prochaines années. L’initiative Salto, réunissant autour d’une plateforme commune les ambitions d’acteurs aussi différents que TF1, France Télévisions et M6, en est une manifestation flagrante.

La question de l’audiovisuel reste plus ouverte que jamais: l’enjeu serait-il de segmenter les contenus et les moyens de diffusion associés pour arriver à trouver le bon équilibre? Les formats «Do It Yourself» qui se visionnent à la volée devront-ils se cantonner aux canaux mobiles, et les formats plus longs aux chaînes de TV traditionnelles? Quelles passerelles vertueuses entre les deux usages permettraient de fidéliser l’audience et donc d’équilibre le modèle économique online? Le monde de la production va continuer sa transformation digitale sur plusieurs années: les chaînes devraient progressivement voir diminuer leur activité historique de diffusion pour se concentrer sur l’édition et le développement d’offres personnalisées ; une incroyable rupture au regard de la programmation généraliste qui était sa raison d’être à ses débuts.

Rappelons qu’il reste encore un domaine où la transformation digitale est ralentie par la technologie: ce sont les grands évènements diffusés en direct (Jeux Olympiques, championnats de football, divertissements, élections). Dans ces moments, la télévision traditionnelle démontre son impressionnante capacité à fédérer un large public de tous horizons et de tous âges. Le futur nous promet de nouvelles innovations au service de la liberté de création, à l’instar de la dernière-née: IGTV. Cette émanation d’Instagram, qui permet de publier une heure de contenu au format vertical (un vrai programme TV en soi), va engendrer une véritable vague de contenus et avec elle un besoin accru d’y associer un regard, une intention, un style.

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