Chronique

Une campagne Cdiscount fait parler d’elle depuis janvier dernier et nourrit le débat sur la responsabilité de la publicité. Il faut dire que la création avait de quoi agacer les plus publiphobes : une illustration d’un cerveau humain, dans lequel des bulles évoquent de bonnes (ou mauvaises) raisons de céder à la tentation des soldes. Pour les publicitaires, un cas classique d’activation mais qui, dans la forme comme dans le fond, a réussi à susciter des réactions vives parmi les défenseurs d’une consommation plus responsable.

C’est l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui a porté plainte devant le JDP (Jury de déontologie de la publicité), remettant en cause deux visuels de la campagne. L’un promouvait l’achat d’un ordinateur portable neuf alors que « mon vieil ordinateur fonctionne encore ». L’autre, l’achat d’un grand écran de téléviseur neuf même si « je n’ai pas besoin d’un si grand écran ».

Il faut dire... Afficher en 4×3 dans le métro des cerveaux excités par un désir d’achat… c’était mettre sous les yeux du public les pièges mêmes que la publicité lui tend, avec sa complicité. Verdict du JDP : plainte infondée ! La recommandation Publicité et développement durable – révisée il y a peu – ne prévoyait pas ce genre de contraventions. L’Ademe a fait appel de ce premier jugement et, recevant confirmation du premier avis, fait part haut et fort de son interrogation sur l’efficacité de notre système d’autorégulation « dans le cas d’un questionnement même de la place de la publicité en matière d’incitation à la surconsommation ».

L'avis de l'Ademe

Qu’argue-t-elle ? Elle se réfère à l’article 9 de la recommandation Publicité et développement durable de l’ARPP : « la publicité ne saurait inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessive ». Le mot est lancé. Évoquant cette consommation excessive (versus une consommation soutenable), elle interroge, à travers nous, la part sombre de notre modèle de consommation.

Ce ne sont pourtant pas une poignée d’extrémistes verts qui nous interpellent. L’Ademe est une agence publique, bras armé de l’État pour la mise en œuvre de la politique environnementale, référent respecté dans son domaine. C’est un bataillon d’ingénieurs experts en mesure des impacts sur les équilibres naturels. Ce que le pays a assaini, amélioré, consolidé en matière d’écologie depuis des décennies, l’Ademe était souvent derrière, en soutien même discret. Mais c’est aussi un annonceur qui connaît nos métiers et notre utilité, collabore avec de nombreuses agences et a beaucoup travaillé sur l’enjeu de la communication responsable avec les acteurs de la filière.

L’Ademe est donc ici pleinement dans son rôle, sa compétence, sa valeur la plus utile pour nous tous. Elle pointe du doigt un enjeu de société essentiel – la surconsommation – et appelle à la modération. Comment ne serions-nous pas collectivement d’accord pour y contribuer ? Qu’on arrête de nous regarder de travers sans nous donner d’instructions claires ! Quand la ligne jaune est floue, c’est d’autant plus insupportable.

Questions sur une surconsommation

Mais comment fait-on ? Qui pose les limites et peut définir cette ligne de la « consommation excessive » ?  Qui sera en mesure de réguler la juste intention d’une entreprise à promouvoir un smartphone v10 qui, on le sait tous, remplace sans réelle nécessité les versions précédentes avec l’énorme impact environnemental associé ?Qui posera les limites de la liberté de commerce et comment les communicants en mesureront le tracé informel ? Pour forcer le trait, qui saura préciser s'il est temps de changer de voiture, de vêtements ou de linge de maison ? Et avons-nous collectivement envie de cela ?

Ces questions font grimacer, tant elles sont complexes. Elles n’en sont pas moins pertinentes. En 2018, l’Ademe les pose parce que nous sommes sur une charnière historique. Chaque époque les siennes. Voilà la nôtre. Pour commencer à répondre, rendons-y nos cerveaux disponibles.

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