Tribune
Jamais la raison d'être des entreprises n'a eu autant d'importance. Encore faut-il se prémunir d'un « mission-washing » contre-productif.

Des PME aux grands groupes, du textile à l’automobile, des États-Unis à l'Italie ou la France, où émerge un statut légal des « entreprises à mission », la raison d’être de l’entreprise a le vent en poupe. Pour preuve, le PDG du premier fonds d’investissement au monde, BlackRock, a récemment annoncé qu’il n’investirait plus que dans des entreprises qui apportent une contribution positive à la société. Si l’entreprise est une force de changement puissante (en 1995, Walmart était déjà plus riche que la Pologne, la Grèce et Israël réunis) et si elle est partiellement responsable des problèmes graves de notre temps, elle peut aussi contribuer à les résoudre. En changeant ses pratiques et son offre, en modifiant son modèle économique pour le rendre plus vertueux, en mobilisant son marketing pour faire évoluer la norme sociale et les comportements, et plus fondamentalement en revendiquant ce rôle avec une raison d’être ambitieuse.

Un impact réel sur l'intention d'achat

Les dirigeants ne s’y trompent pas : pour plus de 80% d’entre eux, une raison d’être puissante améliore la satisfaction des salariés, la résilience de l’entreprise et la fidélité de ses clients, en particulier quand ces sujets affectent leurs clients (47%), leurs équipes (40%) et leurs activités (31%), selon une étude de Sprout Social. Les consommateurs leur donnent raison : 66% attendent des marques qu’elles prennent position sur des sujets sociétaux ou environnementaux. Et un consommateur percevant l’engagement sociétal d’une marque a une intention d’achat 2,4 fois supérieure à celui qui ne le perçoit pas, indique l'Observatoire des marques positives. C’est dire combien l’exercice de la raison d’être est essentiel, quoique semé d’embûches.

Car la raison d’être d'une entreprise n’est pas le slogan éphémère d’une publicité ; on ne change pas de « why » comme d’agence. Et même si l’engagement public a des vertus, il convient d’éviter les déclarations d’intention qui se déploient sur les écrans publicitaires plus que dans les linéaires au risque de faire émerger un « mission-washing » contre-productif. C’est ici que la raison d’être rencontre utilement la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). D’abord parce que celle-ci ouvre la marque à une compréhension fine des enjeux sociétaux sur lesquels sa contribution doit être spécifique, et non générique au secteur. Ensuite parce que la RSE force la cohérence, en rappelant que s’engager sur un sujet exige aussi de ne pas avoir trop d’angles morts par ailleurs. Enfin, parce qu’elle enseigne que la crédibilité se construit sur des objectifs, des indicateurs, des « preuves » dans les produits et pratiques incarnant la raison d’être au quotidien. En retour, celle-ci construit un récit mobilisateur et porteur de sens pour des initiatives RSE dispersées.

S'inspirer de l'Ikigaï japonais 

Véritable changement culturel pour les dirigeants, la raison d’être est aussi un défi stimulant. Elle invite les entreprises, tel l’Ikigaï japonais, à croiser ce en quoi la marque excelle avec ce qu’elle aime faire (ses dirigeants, ses salariés…), ce dont le monde a besoin (les enjeux sociétaux clés de son marché) et ce pourquoi elle peut être payée (plutôt que ses concurrents). Dans cette quête de sens, l’écoute interne et externe est clé, en amont pour cerner les enjeux et les attentes, et en aval auprès des équipes pour traduire la raison d’être en une feuille de route concrète. Mais gare à la tentation du tout-collaboratif : pour une formulation précise et pure, qui évite tout autant les poncifs, la langue de bois et les idées obscures, il conviendra de se souvenir qu’« un chameau est un cheval dessiné par un comité », selon une citation attribuée à Winston Churchill, et parfois à Francis Blanche. À bon entendeur…

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