Tribune
Comme l'a fait Unilever, l’internalisation du marketing digital permet aux entreprises de reprendre le contrôle de leurs données, de leurs budgets ainsi que de leur production.

Quand Unilever, deuxième annonceur mondial, parle de marketing, les professionnels tendent l’oreille. Mais quand c’est pour annoncer 500 millions d’euros d’économies dans son rapport annuel de 2018, ce sont les dirigeants qui écoutent. Par quel sortilège peut-on encore réaliser des gains aussi faramineux après des années d’impitoyable chasse aux coûts ? Le miracle a un nom et c’est la tendance qui révolutionne actuellement le marketing : l’in-housing ou l’internalisation du marketing digital.

Dans l’ancien monde, le marketing opérait à grande échelle : grands espaces, larges audiences, gros budgets. Mais avec le digital, ses innombrables canaux, sa finesse de ciblage et son rythme effréné, ce modèle est devenu obsolète. Impossible avec une organisation taillée pour de vastes campagnes au long cours d’avoir une réactivité et une agilité de commando. Bien entendu, d’innombrables acteurs n’ont pas manqué de proposer leur aide aux annonceurs : plateformes, agences spécialisées, éditeurs de technologies en tout genre… L’achat d’espace publicitaire en constitue un bon exemple. Avec le digital, le modèle traditionnel de courtage a implosé. La segmentation était désormais trop grossière, le système trop lent, les coûts trop élevés. Sont alors apparus des outils plus extraordinaires les uns que les autres pour segmenter, personnaliser, automatiser et piloter le processus, et l’achat programmatique s’est envolé.

Résultat de cette mutation à marche forcée, les chaînes de valeur, truffées de nouveaux intermédiaires, sont devenues complexes, opaques, incontrôlables… Les annonceurs souscrivent à des prestations intégrées, associant achat d’espace, gestion de campagne et outillage ad hoc, sans aucune visibilité claire sur les coûts. Des données vitales naviguent hors de tout contrôle. Quant aux retombées, elles ne sont jamais certaines, sauf lorsque la marque est victime de l’une de ces polémiques dont les réseaux sociaux ont le secret. Ajoutez à cela quelques scandales et pratiques indélicates, et la défiance est désormais massive chez les annonceurs. Pris dans le «marécage» du digital, pour paraphraser Keith Weed, CMO d’Unilever, beaucoup de responsables marketing ressentent une perte de contrôle sur l’essence même de leur travail : adressent-ils réellement les bons messages, aux bonnes personnes, au bon moment, sous la bonne forme, via le bon canal, et au meilleur coût ?

Répondre à la crise de confiance

Pour un nombre grandissant d’entreprises, l’internalisation est la réponse à cette crise de confiance. Particulièrement bien placés pour mesurer l’importance de la data, les pure players digitaux ont été les premiers à considérer qu’en l’absence de transparence et de certitudes, mieux valait ne compter que sur soi-même. Rapidement, les grands annonceurs mondiaux les ont imités et c’est désormais une déferlante que rien ne semble pouvoir arrêter. En France, le Club Med, Pernod Ricard ou Air France ont franchi le pas. Selon l’ANA (Association of National Advertisers, l'équivalent de l’Union des marques), 78% des marques ont aujourd’hui des capacités médias en interne, et 90% d’entre elles internalisent déjà tout ou partie du travail d’agence. De son côté, l’IAB (Interactive Advertising Bureau) estime que près de la moitié d’entre elles sont en train d’internaliser leur achat programmatique.

En internalisant tout ou partie de la chaîne marketing, les entreprises poursuivent en réalité plusieurs objectifs qui, tous, concourent à ne plus dépendre d’un système insatisfaisant. Avant toute chose, leur priorité est de reprendre le contrôle de leurs données. Aujourd’hui, la donnée ne sert plus uniquement au marketing mais à piloter toute l’activité de l’entreprise. C’est elle qui fait le lien entre le produit, le client et les opérations. La posséder, la protéger et pouvoir l’utiliser à sa guise est une nécessité stratégique, et il n’est plus concevable de laisser un tel actif à des tiers, surtout s’ils sont d’une confiance douteuse.

Deuxième objectif majeur de l’internalisation : reprendre le contrôle de ses budgets. Le digital représente désormais plus de la moitié des investissements marketing. Se charger soi-même des opérations, c’est savoir ce pour quoi on paye et ne payer que ce qui est utile. Donc se passer des services de multiples intermédiaires à la valeur ajoutée incertaine. Chez Unilever, cela a permis une économie de 500 millions d’euros en 2018 qui, pour la plupart, ont été réaffectés à un marketing plus en phase avec les exigences du digital.

Enjeu d’efficacité

Reprendre le contrôle de la production, tel est précisément le troisième grand objectif de l’internalisation. Le mantra du marketing digital, c’est «better, faster, cheaper» (mieux, plus rapide et moins cher). Pour être rapide et agile, surfer sur le tourbillon des tendances et des nouveaux usages, s’adresser de façon pertinente et différenciante à des segments de plus en plus fins, il faut impérativement raccourcir les cycles de décision, décloisonner les fonctions, torpiller les inerties… et donc limiter le nombre d’intervenants extérieurs.

Ce dernier enjeu d’efficacité renferme toutefois la principale objection à l'internalisation : comment maintenir en interne des compétences pointues face au flux ininterrompu d’innovations du digital et à la nécessité du marketing d’aiguiser sans cesse sa créativité à la nouveauté ? D’une certaine façon, on retrouve là une problématique familière du développement informatique, qui n’est pas cœur de métier, qui nécessite des compétences très fortes et sans cesse remises à jour, et qui est cependant trop critique pour être totalement délégué. C’est pourquoi, l’internalisation s’inspire de plus en plus des nouvelles technologies et de ses méthodes agiles et partenariales.

Les agences ne disparaissent pas, mais, à la manière des sociétés de services numériques, elles tentent désormais d’accompagner leurs clients dans leur transformation et leur apportent aussi bien du conseil que des technologies et des expertises-clés, par exemple sur la data. Elles sont aussi directement confrontées à l’émergence rapide d’une nouvelle catégorie d’acteurs : les sociétés de brandtech. Celles-ci, fortement imprégnées de culture et de compétences digitales, abordant toutes les disciplines du marketing par le prisme de la technologie, recrutant et formant des profils très pointus (data scientists, ingénieurs, consultants…), experts et partenaires des nouvelles méga-plateformes de l’adtech, sont idéalement positionnées pour accompagner les marques dans ce processus d’internalisation, à la fois stratégique et complexe. C’est ce modèle gagnant qui est en train de se mettre en place et de redistribuer entièrement les cartes du marketing.

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