Tribune
Face au risque d'uniformisation des contenus de marque, il est temps d'explorer un nouveau terrain de jeu, celui des contenus plus créatifs et engagés, qui génèrent des interactions peut-être moins nombreuses mais plus sincères.

«La vidéo est longue, le public risque de décrocher», «L’histoire est sympa mais est-ce que l’audience va tout lire ?», «Le concept est super, mais la mécanique est peut-être un peu trop compliquée»… Ce type de remarques n'est pas rare au cours d’un brainstorming ou d’une réunion, en réaction à une idée qui ne manquait pourtant pas de potentiel. Qu’ils soient en agence ou chez l’annonceur, il ne s’agit pas d’accabler celles et ceux qui les prononcent. D’une part, parce qu’ils sont souvent soumis à des enjeux qui ne poussent pas à la prise de risques (budget limité, timing serré, besoin de résultats) et d’autre part, parce que bien souvent, leurs appréhensions sont basées sur des réalités difficilement contestables.

Ainsi, depuis des années, diverses études et experts affirment que l’attention accordée à un contenu par un internaute est très courte et que pour avoir une chance d’être regardé et mémorisé, il faut aller droit au but. Compte tenu de ces contraintes, les ambitions artistiques et créatives des marques ont bien souvent été revues à la baisse. Mais cette façon de penser n’aurait-elle pas entraîné tout le monde, internautes compris, dans un cercle vicieux qui nivelle par le bas une grande partie des contenus et des interactions sur internet ?

En effet, lorsqu’il a été prophétisé qu’il fallait des contenus simples, rapides et efficaces, les marques se sont adaptées. Ainsi est apparue l’ère du snack content. Les contenus textuels et les accroches des publications se sont faites de plus en plus courtes pour avoir la certitude qu’ils seraient lus jusqu’au bout. Les mécaniques des jeux-concours sont devenues de plus en plus simples afin d’être sûr que tout le monde les comprendrait bien. Les montages et le ton des vidéos se sont retrouvés de plus en plus formatés pour qu’ils correspondent davantage à ce qui fonctionnait déjà ailleurs. Et de manière générale, les call-to-action se sont faits plus racoleurs pour faire grimper le taux d’engagement.

Démultiplier les interactions

La démarche a été la même du côté des plateformes qui, dans le sillage des marques, ont favorisé des formats et des fonctionnalités rendant les interactions toujours plus faciles et plus rapides. Quand, sur Facebook, vous ne pouviez initialement que liker ou commenter une publication, vous avez aujourd’hui à disposition des réactions censées synthétiser toutes les émotions possibles en six émojis. Sur Instagram, la plateforme en a sélectionné huit pour que vous puissiez, en un mouvement, répondre à la dernière story d’un de vos amis. Une story sur laquelle vous auriez peut-être répondu à un sondage d’un oeil distrait (le Xème de la journée).

Ce qui avait pour but de faciliter la vie des internautes a finalement participé à démultiplier les interactions possibles, et par conséquent, à les appauvrir. Un smiley avec les yeux en coeur accessible en deux clics a-t-il la même valeur qu’un commentaire enthousiaste de plusieurs lignes ? L’investissement émotionnel est-il identique ? Il en est de même pour la création de contenus. À vouloir toujours faire plus court et plus simple, ne finit-on pas par vider le propos de sa substance, de sa profondeur, de son émotion ? Comment instaurer un ton différenciant en deux lignes de textes ? Comment apporter une information précise et complexe en quinze secondes de vidéos ?

Uniformisation et superficialité guettent chaque marque prête à sacrifier un peu de la force de son idée sur l’autel des statistiques et des habitudes. Avec à la clé, un contenu peu intéressant et très vite oublié par l’internaute, exposé à des centaines de contenus similaires chaque jour.

Un autre internet existe

Quitte à assumer une vision romantique et noble de notre métier, peut-être est-il venu le temps de s’interroger sur la place des marques dans cette fuite en avant. Car un autre internet existe. Un internet où des youtubeurs font des millions de vues avec des vidéos de plus de 30 minutes. Un internet où les threads à rallonge se multiplient sur Twitter, preuve que le goût pour une histoire longue mais intelligemment racontée n’a pas disparu. Un internet où un compte Instagram comme @La.Minute.Culture attire des milliers de curieux toutes les semaines avec des stories composées de plus d’une trentaine de slides. Un internet où des médias innovants font des reportages ou des interviews de dix minutes qui déclenchent des milliers de commentaires, où les internautes sont prêts à donner de leur temps et de leur énergie intellectuelle pour découvrir des contenus originaux, des contenus où l’on s’affranchit des questions de formats et de fonctionnalités pour mieux les détourner, les réinventer et faire d’eux ce qu’ils étaient initialement : des outils dont on était maitre et non tributaire.

Dans cet internet, les marques ont non seulement un rôle à jouer, mais aussi un terrain de jeu à exploiter. Avec des contenus plus ambitieux, plus créatifs, plus engagés, qui garantissent peut-être des interactions moins nombreuses, mais plus sincères et durables avec ceux qui les consomment. On a pour coutume de dire que la bataille d’aujourd’hui est la bataille de l’attention. Le meilleur moyen de la gagner a toujours été de surprendre, d’étonner, de se différencier de ses concurrents. Ce qui passe par quelques paris et prises de risques. Êtes-vous prêts à en prendre ?

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