Chronique US
L'élection présidentielle américaine est toujours à l’avant-garde des pratiques numériques. Après le cauchemar des fake news de 2016, que nous réservera le grand rendez-vous de 2020 ? Jusqu’à l’élection le 3 novembre, Ronan Le Goff, directeur associé de La Netscouade, proposera une fois par mois, sur le site de Stratégies, une lecture digitale de cette campagne décisive.

Episode 1. En 2008, Barack Obama entrait à la Maison-Blanche auréolé de son statut de Président 2.0, comme le célébraient alors les médias. Le sénateur de l’Illinois avait su s’entourer d’une équipe de jeunes geeks qui révolutionnaient la communication politique. Les républicains, derrière John McCain, étaient renvoyés dans l’ancien monde : celui qui n’a pas encore de compte Facebook. Une décennie plus tard, à l’approche de la présidentielle 2020, c’est un renversement complet. La modernité a changé de camp et les démocrates en conviennent : ils accusent un lourd retard dans la course aux armements numériques.

Après la réélection d’Obama en 2012, les démocrates se sont endormis sur leurs lauriers. Pendant ce temps, le camp d’en face investissait en masse dans l’analyse de data (avec Cambridge Analytica) et préparait la guerre culturelle sur les réseaux (avec Breitbart). Michael Slaby, directeur technique de la campagne d’Obama en 2008, tire aujourd’hui la sonnette d’alarme : «C’est une vérité difficile à entendre mais en matière de technologie, si vous n’investissez pas de manière continue, vous prenez immanquablement du retard. Chez les démocrates, nous avons vécu ce moment où l’on se dit “Hey, on a gagné, on est les meilleurs sur Internet” et on en a tiré un trop-plein de confiance.»

Les petits génies démocrates n’ont pas vu qu’entre temps, les fondamentaux de l’internet avaient bien changé. Les campagnes Obama, c’était cool, c’était fun, c’était le temps de l’optimisme béat face au web 2.0. Donald Trump a réécrit les règles avec sa campagne victorieuse de 2016 : l’internet, ce sont aussi des messages incendiaires sur les réseaux, des fake news, des trolls venus du froid et des casquettes vendues pour récupérer des numéros de téléphone. Pendant que les candidats aux primaires démocrates s’écharpent entre eux, l’équipe Trump prépare sereinement sa machine de guerre pour 2020. Brad Parscale avait mené la bataille numérique en 2016, il a été nommé directeur de l’ensemble de la campagne pour 2020. C’est un signe très fort, Donald Trump entend bien jouer le match retour à domicile, sur les réseaux sociaux.

Micro-targeting

Depuis les élections de «midterms» de 2018, le président a investi 26 millions de dollars en publicités sur Facebook et Google. C’est plus que les dépenses combinées des quatre favoris à l’investiture démocrate. En micro-targetant des électeurs et en leur affichant des messages soigneusement sélectionnés, Donald Trump fait sans cesse grandir sa base numérique. Sur Facebook en termes de reach organique, il part avec un avantage considérable sur ses concurrents démocrates : 24 millions d’abonnés, contre 5,1 millions pour Bernie Sanders, 3,3 millions pour Elizabeth Warren ou 1,4 million pour Joe Biden.

A titre personnel, Donald Trump préfère sans nul doute Twitter mais ses équipes de campagne misent avant tout sur Facebook. «Des millions d’Américains âgés sont sur internet pour regarder les photos de leurs enfants qui ont déménagé dans les grandes villes. Si nous pouvons atteindre ces gens, on peut changer le cours de l’élection», théorise Brad Parscale. Facebook est le réseau qui correspond sociologiquement le mieux à l’électorat de Donald Trump et, contrairement à Twitter, les publicités politiques n’y sont pas bannies. Même mensongères, Mark Zuckerberg se refuse à censurer les réclames politiques.

Face à la sale guerre qui s’annonce, les démocrates ne doivent pas pécher par naïveté. C’est le sens de la démarche de David Plouffe, ex-conseiller de Barack Obama, qui a lancé un fonds de 75 millions de dollars pour financer des publicités digitales anti-Trump sur Facebook, Instagram et YouTube. «Trop peu de choses sont faites à gauche pour contrer l'offensive publicitaire du président en ligne et ce qui est fait jusqu’à présent est insuffisant», avertit-il. David Plouffe est persuadé que l’élection se jouera autour de 2 millions de personnes répartis dans une poignée de swing states et ce sont ces électeurs qu’il faut cibler pour contrer la «désinformation» de Trump. La campagne digitale est sans doute moins glamour que pendant les années Obama, mais elle n’en reste pas moins capitale.

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