Jean-Louis Servan-Schreiber est un personnage hors du commun qui a sans arrêt démontré des qualités d'entrepreneur et de journaliste hors pair. Son très bon livre [Trop vite! Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme, Albin Michel, mai 2010] traite de la vitesse du temps qui nous oblige à réfléchir vite, agir vite, produire vite…  JLSS appelle cette situation «le court-termisme» et plaide pour un retour, sous une forme à définir, d'un certain «long terme». Quelques remarques tout à fait personnelles sur ce point de vue.

1. Ne faut-il pas au contraire s'organiser autrement pour réfléchir, non pas trop vite, mais beaucoup plus vite? Pourquoi opposer systématiquement long terme et court terme, alors que nous avons besoin de l'un et de l'autre, mais aussi sûrement beaucoup plus aujourd'hui du court terme le plus intelligent possible. La réflexion court terme n'est pas forcément idiote et condamnable.

2. Les prévisions ne prévoient pas l'inattendu! «Il y a le palpable, l'incertain, et c'est toujours l'inattendu qui arrive.» Tout est dit dans cette phrase d'Edgar Morin. Les prévisions sont fausses ou aléatoires. Bienvenue dans le monde de l'inattendu qui nous oblige à réfléchir très vite face à des événements… inattendus.

Une conséquence est que l'inattendu nous entraîne vers un système de travail différent: le travail en boucle. Michael Schrage, numéro deux du MIT [Massachusetts Institute of Technology] et auteur de nombreux livres sur l'innovation, suggérait aux entreprises de devenir des «virtuoses du prototype» et donc de la réflexion intelligente de court terme.

C'est-à-dire: dès que l'on a un prototype, il faut passer à l'action, sans dépenser des fortunes, car il va falloir recommencer. Donc, la loi du nombre, la loi du nombre d'essais de prototypes ouvre à la compétence, au savoir, à l'adaptation sûre de l'innovation ou de la communication au marché. Le travail en boucle nous force à tout recommencer et ce travail ne doit jamais s'arrêter. C'est la mauvaise nouvelle, car il faut rester dans un état de vigilance permanent. La bonne, c'est qu'on apprend à maîtriser l'imprévu et la vitesse.

3. La société de consommation, qui est celle des consommateurs-citoyens, a décidé de devenir une «société de consumation» (Michel Maffesoli), une société où l'éphémère domine, une société dans laquelle les offres se consument toujours plus vite et où l'obsolescence surgit prématurément. La course de vitesse dans le domaine des smartphones en est un magnifique exemple.

4. Le «business» est aujourd'hui comme le Paris-Dakar: une suite d'étapes, chacune avec ses difficultés. Il faut arriver à chaque étape, entier, dans les temps, ne pas se perdre ni tomber en panne, éviter les trous et les fossés, et bien sûr être le mieux placé possible. Il faut beaucoup réfléchir lorsque l'on fait ce rallye, réfléchir vite, décider vite. Il suffit de louper une étape pour être «sorti de la course», comme on sort d'un marché en ne réagissant pas assez vite.

5. Jeff Jarvis, dans son livre La méthode Google. Que ferait Google à votre place?, aux éditions Télémaque, rappelle que l'un des points de la philosophie du moteur de recherche (qui a surgi en trois ans), est «toujours plus vite». C'est l'un de ses avantages compétitifs essentiels. Jeff Jarvis parle du «nouveau rythme» dans lequel nous vivons, d'un monde d'interactions, d'un monde où il faut vivre en temps réel, d'un monde où les réponses doivent être immédiates.

Vitesse des acquisitions, vitesse dans la société, vitesse du copiage, vitesse des réactions, vitesse de succès d'entreprises, vitesse de l'arrivée de l'imprévisible et de l'inattendu, tout cela marque notre époque. Inattendu: une célèbre marque automobile allemande, à Munich, a décidé, pour que les réunions aillent plus vite, la création de salles… sans chaises! Croyez-moi, les réunions ne s'éternisent pas…

6. Ne confondons pas urgence et vitesse. Quand il y a urgence, il est déjà trop tard. La vitesse peut, pour une entreprise, devenir en revanche un acte stratégique. Un vrai processus d'organisation de la vitesse peut lui permettre de ne plus subir de plein fouet les changements et de fixer elle-même son propre tempo au marché, à l'image d'Apple, Afflelou, McDonald's, Ikea, Zara, Gillette… Par une telle pratique, on ne se bat plus contre les vagues, on devient le vent qui crée la vague. 3M impose que 30% de son chiffre d'affaires annuel soit réalisé avec des produits nouveaux.

7. Où apprend-on à réfléchir vite? Nulle part. Sur ce sujet, il y a clairement un problème lié à notre éducation. Celle-ci est-elle encore quelque peu compatible avec la réalité des marchés, du monde? Notre principal problème est là. On ne nous a jamais appris à être organisé pour penser intelligemment vite. Pour cela, les entreprises doivent décloisonner les services pour obtenir une meilleure et plus rapide cohérence d'actions et d'idées.

Conclusion: «En agissant vite, on se trompe parfois. En ne faisant rien, on se trompe toujours.» (Romain Rolland)

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