Tribune
Dans l'affaire Plus belle la vie, l'action visant au rétablissement d'une page de fans sur Facebook a été jugée irrecevable à l'encontre de Facebook France. Tribune de l'avocat Vincent Varet.

Premier épisode: à la demande de la société Telfrance, productrice de l'émission Plus belle la vie, Facebook fusionne une page non officielle consacrée à cette émission, créée par Mme C., laquelle comptait tout de même plus 600 000 fans, avec la page officielle gérée par Telfrance.

Deuxième épisode: Mme C., estimant cette mesure attentatoire à sa liberté d'expression et préjudiciable, assigne Telfrance et Facebook France devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir le rétablissement de sa page. Facebook France ne comparaît pas. Telfrance fait valoir devant le tribunal que la page créée par Mme C. portait atteinte à ses marques PBLV et Plus belle la vie, reproduites sur la page en cause, en sorte qu'elle était bien fondée à solliciter la fermeture de ladite page. Reconventionnellement, elle soutient que Mme C. a commis des actes de parasitisme à son encontre, et sollicite donc sa condamnation à des dommages et intérêts.

Le tribunal écarte les arguments de Telfrance, estimant que ses marques n'ont pas été utilisées par Mme C. sur la page litigieuse dans la vie des affaires. Il en conclut que la demande faite par Telfrance à Facebook de fermer la page litigieuse n'était pas fondée. Le tribunal a admis, en revanche, que Facebook avait pu légitimement déférer à cette demande, en raison du risque de responsabilité pesant sur elle à défaut de suppression rapide de l'accès à un contenu illicite, résultant de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (application du régime spécial de responsabilité des fournisseurs d'hébergement, article 6.I.2 et 6.I.5 LCEN). Par jugement en date du 28 novembre 2013, le tribunal ordonne donc sous astreinte à Facebook France de rétablir la page officieuse de l'émission telle qu'elle existait avant sa suppression et condamne Telfrance à payer à Mme C. 8 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Troisième épisode, en forme de coup de théâtre: Telfrance forme appelle de ce jugement et, cette fois, Facebook France constitue avocat. Facebook France fait alors valoir qu'elle n'opère ni n'héberge le site Facebook, lequel est exploité par les sociétés Facebook Inc., de droit américain, et Facebook Ireland Ltd, de droit irlandais. Elle ajoute que tous les utilisateurs du site acceptent la déclaration des droits et responsabilité qui définit ses conditions d'utilisation et contractent expressément, ce faisant, avec l'une de ces deux sociétés, selon le lieu de leur résidence principale (en l'occurrence, Mme C., résidant en Europe, avait contracté, pour l'utilisation du site Facebook, avec Facebook Ireland Ltd). Facebook France en conclut qu'étant étrangère aux faits litigieux, elle n'a pas qualité pour défendre, en sorte que l'action dirigée à son encontre est irrecevable. Mme C. conteste cette argumentation, en faisant valoir principalement que les dispositions de la LCEN seraient d'ordre public et prévaudraient donc sur les conditions d'utilisation de Facebook.

La cour d'appel de Paris, dans un arrêt en date du 17 octobre dernier, constate que Facebook France n'opère ni n'héberge le site Facebook au sens de la LCEN, qui fonde la demande de Mme C. Elle relève en outre que son objet social ne contient pas une telle activité, qu'elle n'est pas titulaire du nom de domaine facebook.com, et qu'elle est une personne morale distincte de la société Facebook Ireland Ltd. Dans la mesure où il n'était pas démontré que Facebook France était habilitée à représenter cette dernière société en France, la cour conclut que l'action en rétablissement de la page litigieuse était irrecevable à l'encontre de cette société.  Par suite, elle infirme le jugement en ce qu'il lui avait ordonné de procéder à ce rétablissement.

La décision, sans doute amère pour Mme C., paraît bien fondée en droit. En sorte qu'un nouveau rebondissement n'est pas certain devant la Cour de cassation. On retiendra, à ce stade de la série, qu'une action visant à supprimer ou rétablir un contenu publié sur Facebook sur le fondement de la LCEN doit être dirigé à l'encontre de Facebook Inc. ou Facebook Ireland, selon que l'on réside en Amérique du Nord ou en Europe.

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