Presse
Julia Cagé, professeur d'économie à Sciences Po, estime que rien n'empêche Daniel Kretinsky de modeler à sa guise l'actionnariat des médias.

Kretinsky est-il un actionnaire qui détonne dans le paysage des médias français ?

De moins en moins. Le personnage est étonnant. La façon dont il a fait fortune et ses motivations à rentrer dans le marché français restent très floues. Si je devais le comparer, ce serait avec Patrick Drahi, qui a trouvé avec les médias une porte d'entrée dans les télécoms. Ce dont j'ai peur avec Kretinsky, c'est qu'il se serve de la presse pour ses ambitions industrielles. Il peut désormais être pris au téléphone par un ministre quand bien même de vraies questions se posent sur son associé Patrik Tkac qui a quand même été soupçonné de délit d'initié. On lui déploiera le tapis rouge. Je suis autant inquiète pour l'indépendance des journalistes du Monde que pour le fait qu'on laisse à des milliardaires comme lui s'acheter de la légitimité et des accès au pouvoir politique.

 

Que signifie l'arrivée de ce milliardaire tchèque dans l'évolution de la propriété des médias ?

Déjà, qu'il faut mettre en place sur le long terme des formes de protection des journalistes. Quand j'ai écrit Sauver les médias, je prenais comme actionnariat potentiellement problématique celui du Monde, avec Niel, Bergé et Pigasse. On me rétorquait que Niel n'était jamais intervenu, que Bergé se contentait de coups de gueule, etc. Je répondais qu'on ne savait ce qui se passerait après, avec ceux qui leur succéderaient. Ce n'est pas une question de good ou de bad guy. Le problème, c'est le système. Si un actionnaire décide de sortir pour laisser entrer un autre beaucoup plus problématique, on n'a aucun moyen de protéger le journal. Kretinsky a exprimé dans Les Echos ses réticences à accepter un droit de veto. Une société à but non lucratif, que je préconise, empêche de revendre ses parts.

 

Que pensez-vous des initiatives des journalistes du Monde qui ont révélé le nom de son actionnaire et enquêté sur lui ?

Bravo ! Ils font tout ce qu'ils peuvent pour préserver leur indépendance. C'est très rare. En même temps, cela veut dire qu'ils ont peur de perdre cette indépendance et qu'il se battent avec leurs armes. On ne devrait pas les laisser seuls, mais mettre en place des structures juridiques et légales qui permettent de protéger la rédaction. On n'est pas loin de voir Kretinsky racheter l'entièreté des parts de Matthieu Pigasse. Il ne se laissera pas imposer un droit de veto et, potentiellement à court terme, il rachète les parts de Prisa. Or, il n'y a pas de droits de préemption entre actionnaires. Et Kretinsky est très riche et peut acheter les parts de façon exclusive au-dessus de leur valeur de marché.

 

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