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Face à l’invisibilité des lesbiennes dans la publicité, Irena Descubes, docteure et professeure en marketing, observe le retard accumulé en France. Elle revient sur les facteurs explicatifs de cette inégalité de représentation, du faible pouvoir d’achat des femmes homosexuelles à leur quasi-absence dans les métiers créatifs.

La vaste majorité des publicités qui montrent des personnes homosexuelles utilisent les images d’hommes gays. Les exemples n’en sont plus si rares : Volvo, Manix, McDonald’s ou encore Evian. Et les femmes ? Alors que nous fêtons le jubilé de la Gay Pride et que la télévision commence à introduire, depuis deux ans, des couples lesbiens dans ses productions – Plus belle la vie, Dix pour cent ou Candice Renoir –, il est difficile de citer des films ou affiches publicitaires qui mettent à l’honneur la lesbianité. Alors que les lesbiennes sont de plus en plus visibles dans les médias américains, elles pâtissent en France d’un retard en la matière : les médias et les annonceurs y restent plutôt frileux.

Un exemple est frappant : un spot publicitaire italien de la marque Toyota qui, en 2016, mettait en scène parmi ses figurants deux mères homosexuelles et leur petite fille. Cette séquence, de quelques secondes à peine, avait pourtant mystérieusement disparu du même clip, en France, sa diffusion coïncidant sans doute avec les débats houleux et non-clos autour de questions bioéthiques comme celles de la PMA.

Une commmunauté très réduite

D’après la dernière étude de l’Insee datant de 2011, il y aurait en France 32 millions de personnes majeures qui déclarent vivre en couple dont seulement 200 000 avec une personne du même sexe, 40 % étant des femmes. Il faut donc en déduire qu’il y aurait 80 000 lesbiennes vivant en couple dans le pays, soit 0,25 % du total. Une communauté trop réduite pour s’y intéresser ? Sans doute, d’autant que si l’on compare avec des données américaines, les ménages que les hommes gays constituent auraient un revenu supérieur de 28 % à celui des ménages lesbiens. En France, si l’écart du niveau des salaires entre les hommes et les femmes est actuellement de 23,7 % en faveur des premiers, il est clair que deux femmes qui vivent en couple gagnent avec une forte probabilité moins d’argent qu’un couple d’hommes. Pas étonnant que les annonceurs s’intéressent plus aux gays qu’aux lesbiennes !

Mais le problème vient également des agences de publicité au sein desquelles, aux États-Unis, seulement 3 % des directeurs créatifs sont des femmes. Si elles étaient toutes lesbiennes, ce qui n’est certainement pas le cas, elles seraient tout de même en minorité par rapport aux directeurs créatifs gays. Les hommes homosexuels, faisant partie du sérail, bénéficient donc par ricochet de cet avantage en poussant davantage la représentation des gays dans la publicité.

Les publicités neutres ne sont cependant pas une solution. D’après notre étude (1), 70 % des femmes homosexuelles ne se projettent pas comme membre de la communauté indifférenciée. Celles-ci réagissent d’ailleurs beaucoup plus fortement à une publicité qui présente un couple de femmes plutôt que deux hommes ou même qu’un jeu habile et implicite qui permettrait à chacun(e) de comprendre l’annonce comme il ou elle l’entend. Mettre tout le monde dans le même panier est une erreur : il faut s’adresser explicitement aux un(e)s et aux autres. Je ne veux pas inciter les marques, mais je leur dis tout de même d’oser. » 

La prof

 

Irena Descubes est professeure adjointe en marketing à la Rennes School of Business et responsable de son programme EMBA, parmi l’un des 100 meilleurs au monde depuis 2017 selon le Financial Times (un classement confirmé l’année dernière). Après avoir travaillé dans le marketing B to B, elle intègre tardivement la communauté académique et obtient son doctorat à 42 ans. Sept ans plus tard, les travaux de prédilection de la chercheuse renvoient toujours à des clivages, des stéréotypes ou une méconnaissance  venant d’un panel assez large…

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